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du transport ; il apporte à l’officier de la marine royale anglaise l’or, l’argent, les surons de cochenille ou d’indigo (ce sont les seuls articles de retour que les navires de guerre admettent à leur bord) qu’il veut adresser en Europe. Assimilé au capitaine de la marine marchande, le commandant d’une frégate, d’une corvette ou d’un brick de guerre, a sa commission sur le fret des retours qu’on lui confie ; il a dès-lors intérêt à ce qu’on lui en confie le plus possible. Telle corvette de guerre de trente canons et de cent vingt hommes d’équipage, parcourant la même route, par exemple, que le Collingwood, rapporte en matières d’or et d’argent environ 6 millions de francs ; le fret moyen, déduction faite de la commission du capitaine, produit à peu près une somme de 60,000 francs pour le moins. Qu’en résulte-t-il ? C’est que l’Angleterre a pu récompenser, par les profits d’une telle mission, les bons et loyaux services d’un de ses officiers, que le commerce anglais recueille à la fois respect et sécurité, et qu’enfin les frais de l’expédition qui produit ces incontestables avantages se trouvent en partie couverts par la somme, nette de 60,000 francs qu’a donnée le fret.

On voit combien est désavantageuse pour la France la mesure prohibitive qui pèse sur nos bâtimens de guerre. Ce n’est pas seulement notre marine qui souffre de cette entrave ; notre commerce en sent aussi le poids. On me pardonnera de citer un exemple personnel. C’était dans l’un de mes voyages à Guaymas, le port de l’état de Sonora. À cette époque (et cette mesure existe encore), le fisc mexicain avait prohibé l’exportation des lingots d’argent ou de la poudre d’or pour n’être pas frustré des droits de monnayage. Cette loi est respectable sans doute, mais difficile à exécuter à la lettre dans un pays où les transactions un peu considérables ne se paient qu’en lingots. Une corvette anglaise, dont je pourrais citer le nom, se trouvait en partance au moment où je venais de recevoir en barres d’argent le paiement d’une assez forte somme. J’avais un besoin urgent d’opérer des retours en Europe ; le crédit et l’honneur de la maison que je représentais étaient à ce prix. La ville où je pouvais faire monnayer ces lingots étant située au moins à soixante lieues du port, je ne pouvais prendre qu’un parti, celui de les embarquer en contrebande.

Je fis marché avec les patrons de quelques navires cabotiers qui se trouvaient en rade, et qui, en cette qualité, les embarquèrent à leur bord avec un laisser-passer de la douane pour un port mexicain ; puis, à un jour dit, sous prétexte de promenade, je louai un canot, et j’allai successivement à bord de chaque caboteur recueillir mes lingots. Le transbordement opéré, je me dirigeai vers la corvette anglaise, qui mouillait à près de trois quarts de lieue du môle. Mes visites avaient sans doute paru suspectes à la douane mexicaine, car une longue et