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la prudence, il semble que, d’octobre en avril, la portion de côte comprise sur l’Océan doit être interdite aux gros vaisseaux. Point d’abri pour eux, il faut gagner le large et remonter jusqu’au détroit. Cependant, en prenant Cadix pour point de départ et quartier-général, il n’est pas douteux que l’on ne pût, en choisissant son temps, et à l’aide de puissans vapeurs, porter rapidement des vaisseaux sur un des trois points cités, pour un but et une opération déterminés. Tanger est plus abordable en tout temps, surtout en prenant pour point de départ la baie de Gibraltar ; mais convient-il de renouveler la canonnade de Tanger ? Tanger est une ville trop européenne, c’est le marché de Gibraltar. En 1844, nous étions presque au lendemain de Beyrout ; rien n’avait passé sur ce souvenir. Le bombardement de Tanger répondait au bombardement de Beyrout : c’était une revanche. En 1844, une entreprise sur Tanger était chose délicate. Le serait-elle moins aujourd’hui ? Il y a là une question de convenance et d’opportunité que l’on ne saurait trancher à l’avance ; mais il semble qu’en principe c’est une ville pour laquelle l’intérêt de nos rapports internationaux commande des ménagemens. De ce point de vue, nous plaçons Tanger hors du débat, que nous transportons tout entier sur la côte de l’Océan, depuis le cap Spartel jusqu’à Mogador.

Ici deux systèmes se présentent : ou bien l’on tentera des opérations de débarquement avec ou sans occupation, ou bien l’on procédera par le canon et la bombe. Le débarquement et l’occupation, c’est un système que l’on a pratiqué à Mogador, pratiqué avec succès, à des conditions coûteuses il est vrai. Ce que l’on a fait en 1844, on pourra le faire encore ; mais convient-il de le faire ?

En 1844, l’occupation de l’île Mogador était consommée, toutes les mesures propres à l’assurer avaient été prises ; cependant un mois s’était à peine écoulé que déjà il fallait songer à une extension forcée de cette occupation. Au moment où la paix fut signée, la ville devait aussi être occupée ; le commandant en chef venait d’en prendre la résolution.

On connaît la position de l’île Mogador. Le mouillage, ou, si l’on veut, le port, ouvert au nord et au sud, est entre cette île et la côte. La ville n’est pas vis-à-vis, elle est un peu au nord, et l’un des côtés du triangle qu’elle forme peut battre le mouillage avec quelques canons placés sur un bastion ou tour. On avait, il est vrai, encloué ces canons, et la batterie était demeurée muette ; mais bientôt les indigènes, se ravisant, signalèrent tout d’un coup leur retour et leur présence par plusieurs boulets qui vinrent tomber au milieu des navires mouillés dans le port. Ce n’est pas tout : au sommet des petites dunes de sable qui bordent la plage du côté de terre, on vit ou l’on crut voir que le terrain était remué journellement, que l’on semblait y faire des travaux. Rien de plus naturel à penser, car rien n’était plus facile que de transporter là du canon et de canonner le mouillage. On pouvait le faire presque impunément. Plus tard, on reconnut que l’on s’était trompé. Quoi qu’il en soit, l’éveil était donné c’était là le côté faible. Si les Marocains s’avisaient de cet expédient si simple, il fallait quitter le mouillage intérieur. De ce moment, l’île demeurait sans communications assurées, livrée à ses propres ressources défensives et à des chances précaires de ravitaillement pendant toute la mauvaise saison Ainsi il était constaté que l’occupation de file ne garantissait pas l’occupation du port.