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jusqu’à quatre fois à la charge pour dénoncer les temples où la collecte n’est point faite au moment voulu, et où les offrandes des fidèles ne sont pas présentées à l’officiant suivant les prescriptions du rituel. Dans toute sa relation, il y a un étrange mélange de sentiment religieux et de passion archéologique ; il s’indigne contre les calvinistes, parce qu’ils ont défiguré les églises en y élevant de vilaines cloisons de bois. Par instans, on croirait entendre un écho de nos néo-catholiques, qui voulaient croire parce qu’ils trouvaient la Bible plus poétique qu’Homère. En un mot, on s’aperçoit qu’à leur origine les enthousiasmes de la jeune Angleterre n’ont guère été qu’une religion et une politique de sentiment. Hâtons-nous de l’ajouter cependant, quel qu’ait été le point de départ, on sent aussi que pour le noble auteur l’expérience est venue. Non-seulement son petit livre est écrit, d’un style simple et facile, non-seulement il révèle un esprit ouvert aux impressions de la nature, il atteste encore un désir sincère d’observer et d’apprendre. On aime à voir le soin avec lequel le voyageur visite les prisons, les workhouses, les écoles, les établissemens publics de tout genre. En quelques mots, voici les principales de ses conclusions. Tout en témoignant un vif intérêt pour le clergé catholique, et même pour les communautés religieuses, pour les frères de la doctrine chrétienne et les sœurs de la miséricorde, lord John Manners ne soutient pas moins que l’église protestante est canoniquement et légalement l’église officielle de l’Irlande ; seulement il voudrait que le culte catholique fit doté, et il pense qu’en ce moment le clergé romain ne refuserait pas une dotation. À l’égard de l’éducation, il se prononce contre le système qui prétend donner la même instruction laïque à toutes les communions, en laissant chacune d’elles recevoir à part un enseignement religieux suivant ses croyances. Sans se déclarer partisan du rappel, il témoigne un grand respect pour la jeune Irlande, qu’il défend contre les attaques de Conciliation-hall. Loin de penser que les petites fermes soient la plaie du pays, il est d’avis que la misère vient surtout de ce que le paysan qui, faute de capital, ne peut cultiver que cinq à six arpens, en prend cent à fermage, dans l’espoir de sous-louer, et en conséquence il voudrait limiter les fermes à une étendue de dix arpens. L’impression qui se reproduit du reste à chaque ligne de ce livre, c’est que la race irlandaise n’est pas la race anglaise, et que l’économiste saxon a une clé du cœur humain qui se trouve ne pas ouvrir le cœur de l’Irlandais. Il est bon que de temps en temps on rappelle aussi aux théories qu’elles ne sont que des théories. Le beau rôle de la jeune Irlande a été de répéter cette vérité, aux calvinistes et à l’économie politique, mais reste la grande question : comment agir ? et peut-être n’est-ce pas la jeune Angleterre qui doit la résoudre ?

J. M.


V. DE MARS.