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qu’on peut croire prochain complétera cette transposition de rôles en appelant à Madrid l’élément dominant des autres capitales, l’élément commercial et manufacturier.

Oui, en dépit des obstacles combinés qui semblent fermer à son activité toute issue, Madrid est à la veille de devenir un grand centre commercial, manufacturier et au besoin même agricole. Si factices que soient les causes auxquelles il doit son développement, ces causes, en s’exerçant d’une façon persistante, n’ont pas moins produit des résultats sérieux et définitifs. À importance égale, une ville qui est le siége de tous les pouvoirs de l’état aurait la chance d’être privilégiée dans ce système d’améliorations qui s’attache depuis quelques années à vivifier, en les reliant l’une à l’autre, toutes les grandes villes de la Péninsule. Or, Madrid, même sous ce premier rapport, peut revendiquer une supériorité réelle. C’est, en somme, la ville la plus peuplée d’Espagne, et c’est aussi celle qui a le plus de droits à se montrer exigeante, car elle est la plus imposée. Dans la totalité des impôts directs et indirects perçus au profit de l’état, l’habitant de la province de Madrid contribue en moyenne pour 169 réaux par tête (environ 43 fr.), moyenne qui est de deux fois à sept fois plus forte que celle des charges générales supportées par l’habitant des autres provinces[1]. Le Madrilègne proprement dit paie même en réalité beaucoup plus de 169 réaux, car les districts ruraux de la province de Madrid, qui entrent dans la formation de cette moyenne, sont en général plus pauvres et par suite moins imposés que les districts ruraux des autres provinces. À des droits exceptionnels Madrid joint des moyens d’action exceptionnels. La guerre civile, en détournant long-temps la spéculation des placemens agricoles et industriels de province, et en surexcitant les affaires de bourse, a accumulé dans la capitale, centre naturel de l’agiotage, des masses énormes de numéraire et de papier que la consolidation graduelle de l’ordre refoule aujourd’hui vers des destinations plus utiles ; l’esprit d’entreprise s’en est naturellement emparé sur les lieux mêmes, De là la fièvre financière qui marqua pour Madrid la période 1843-47. Dans cette période, Madrid, qui était déjà le siége social de plus de deux cents compagnies minières, vit surgir coup sur coup quatre-vingt-quinze projets de sociétés anonymes pour l’exploitation de banques, d’assurances, d’entreprises commerciales, agricoles et industrielles de toute nature, représentant ensemble un capital nominal de près de 2 milliards de francs, dont les versemens devaient être échelonnés sur quatre ou cinq années à peine. C’était du délire. La moitié de ces sociétés n’a pas pu arriver à se constituer, et celles qui survivent n’y sont

  1. L’habitant de la province de Séville, qui est le plus fort contribuable après celui de Madrid, et l’habitant de la province de Pontevedra, qui est le moins fort contribuable (les provinces basques exceptées), paient, l’un 96 réaux, l’autre 23 réaux seulement.