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ils gagnaient leur vie, ce qu’on vendait une pinte de lait et une douzaine d’oeufs, comme si tous ces détails l’eussent fort intéressé. La petite fille répondait avec assurance et simplicité. Le seigneur, touché de sa gentillesse, lui dit d’un air où la bonté se mêlait à la brusquerie :

— Je veux faire quelque chose pour toi. Que désires-tu1 ? Parle vite. Point de bavardages inutiles.

— Ce que je désire ? répondit Claudine. Je ne suis point en peine de le trouver. Il me faudrait quatre écus, non pas pour moi, mais pour mon père.

— Et pourquoi, reprit l’altesse, cette somme de quatre écus ?

— Parce que monsieur de l’impôt doit venir demain et que nous n’avons pas de quoi le payer.

L’altesse tira de sa poche un louis d’or et le mit dans la main de Claudine en lui disant d’un ton sévère :

— Cette pièce vaut le double de la somme que tu demandes. Demain, quand je retournerai à Paris, tu me rendras douze livres.

— Je n’y manquerai point, monseigneur.

Le prince avait déjà lancé son cheval au galop et s’éloignait suivi de ses gentilshommes. Claudine demeura long-temps plongée dans la contemplation du louis d’or ; elle en admira la face où l’on voyait le portrait du feu roi ; elle fit le signe de la croix pour se remettre de son émotion, et rentra toute pensive dans sa cabane. Au retour des champs, dame Simonne apprit avec bien de la surprise l’aventure de sa fille. Il en fallut recommencer deux fois le récit. La mère couvrit de bénédictions le bienfaiteur inconnu, et se perdit en conjectures pour découvrir qui ce pouvait être. Comme elle était peu versée dans l’état de la famille royale et de la cour, elle ne sut à quel nom fixer son esprit, mais elle se promit de payer le percepteur des impôts et de rendre au généreux seigneur les douze livres de surplus. Quanta maître Simon, il fut résolu qu’on ne lui dirait rien de cette rencontre.

Par malheur, des enfans qui jouaient sur le bord de la route avaient vu de loin la chute du cavalier, les secours apportés par Claudine et le geste remarquable du chef de la troupe fouillant dans sa poche et donnant une récompense à la petite fille. Ces enfans trouvèrent maître Simon battant les murs le long de l’avenue, et n’eurent rien de plus pressé que de lui raconter l’aventure de sa fille, si bien qu’en rentrant au logis, le maudit homme, instruit de ce qu’on lui voulait cacher, ne manqua pas d’interroger, de crier à tue-tête, et de lever le bâton, jusqu’à ce qu’il eût saisi le louis d’or, à quoi il attachait au fond plus d’importance qu’à la confession de la vérité. Ce fut le tour de la mère à crier comme une aigle, quand elle vit la plus grosse somme qu’elle eût jamais possédée tomber dans les mains de son mari, c’est-à-dire prendre le plus court chemin du cabaret. À force d’éloquence, elle fit