prix celle-ci vint à bout d’élever son enfant. Quoi qu’il en soit, la petite Claudine poussa comme une plante vivace en dépit des privations. Elle atteignit sans accident sa douzième année, et, avant qu’on eût songé à la remarquer, elle était déjà la plus jolie fille de son village.
Le curé de Saint-Mandé, en lui enseignant le catéchisme, s’aperçut que Claudine avait une intelligence et des instincts au-dessus de son âge et de sa condition. Elle embarrassait le bonhomme par ses questions et l’étonnait par ses réponses. Elle semblait deviner ce qu’il lui voulait apprendre, et ajoutait des réflexions aux leçons qu’il lui donnait, en sorte que dame Simonne trouvait la récompense de ses soins et le soulagement de ses maux dans les éloges et les bénédictions du curé. Claudine témoignait à sa mère plus de respect et d’affection que n’ont accoutumé de faire les enfans de la campagne, dont la vie laborieuse éteint souvent tous les sentimens. Au rebours de la plupart des paysannes, qui ne voient dans leur progéniture que des bras à employer, Simonne ménageait les forces de sa fille et no la quittait presque point. La petite jeunesse de Claudine échappait ainsi à ces deux écueils du corps et de l’esprit, l’excès de fatigue et le défaut de surveillance.
Un’jour d’hiver que sa mère l’avait laissée au logis pour ne point l’exposer au mauvais temps, Claudine entendit une troupe de cavaliers passer au galop sur la route. Elle se mit à la fenêtre et vit un seigneur petit de taille accompagné de trente gentilshommes au moins qui paraissaient être à lui, car ils le suivaient à distance. Ils étaient tous jeunes, richement équipés, coiffés de larges chapeaux dont les plumes volaient au vent, et ils voyageaient à franc étrier. Tout à coup la sangle de l’un des chevaux se rompit, la selle tourna, et le cavalier tomba dans la boue. La bande entière s’arrêta et mit pied à terre, bormis le seigneur, qui demeura sur son cheval. On s’empressait autour du cavalier démonté. Celui-ci riait de sa mésaventure, mais on voyait, à sa pâleur et au tremblement de ses mains, que la chute avait été rude. Il s’apprêtait à sauter sur le cheval d’un laquais de la suite, lorsqu’il aperçut devant lui une petite paysanne qui lui présentait d’une maiu un verre d’eau et de l’autre une serviette pour essuyer la boue dont il était couvert.
— Je n’ai que faire de cela, dit le gentilhomme. Il ne faut point retarder son altesse pour si peu de chose.
— Rien ne presse, dit le seigneur que l’on traitait d’altesse ; nous n’avons pas d’ennemi à surprendre. Buvez cette eau, monsieur de Bue, et prenez le temps de vous remettre de la secousse. Vous vous êtes fait mal.
Tandis que M. de Bue nettoyait à la hâte ses habits, le grand seigneur, en manœuvrant son cheval, se vint mettre devant Claudine et lui demanda son âge, son nom, si elle avait des parens, à quel métier