Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/449

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
443
LA BAVOLETTE.

L’écolier déposa un gros baiser sur les gants parfumés de la jeune fille.

— Pour cette fois, s’écria le père, vous êtes engagés tous deux. N’allez point me renier mon fils, mademoiselle.

— Ne craignez rien, répondit Claudine, jusqu’à ce qu’il me renie lui-même.

— Mordieu ! reprit le major, je lui couperais les oreilles plutôt que de souffrir une pareille félonie.

M"1 de Boutteville, qui écoutait cette conversation et observait ce manège, courut en avertir sa mère et le duc d’Enghien. Le prince ne se sentit pas d’aise ; il voulut aussi jouer son rôle dans ce divertissement, et il s’avança vers le major, en feignant de le reconnaître :

— Eh ! lui dit-il, n’est-ce point M. Des Riviez que je vois ? Je vous salue, major ; vous êtes du régiment de Royal-Italien. Ce garçon est sans doute votre fils Thomas, que vous destinez à la carrière des armes.

— Quoi ! s’écria le major, votre altesse nous connaît !

— Je connais tous les braves militaires et leur lignée. Votre fils Thomas est un galantin, à ce qu’il me paraît. Ne l’ai-je point vu baiser la main de M11" Claudine ? Il a raison de débuter de bonne heure. Une balle impériale peut briser le fil de ses amours.

— Votre altesse est d’une bonté qui me confond, reprit Des Riviez. Mademoiselle accepte en effet mon garçon pour son serviteur, mais sans porter atteinte aux droits plus anciens de M. de Boutteville.

— Fort bien, dit le prince. Boutteville était inscrit le premier. Eh bien ! puisque la demoiselle a deux galans, il faut deux maîtresses à votre fils Thomas. Je lui en veux bâiller une de ma main.

— Il la prendra sur votre parole, monseigneur, et les yeux fermés.

— Venez donc, Angélique, reprit le duc d’Enghien, je vous ai trouvé un amoureux dans le régiment de Mazarin. Monsieur Des Riviez, voici la seconde maîtresse de votre fils Thomas. Ce n’est qu’une simple bavolet te, mais elle a sous son bavolet toutes sortes de vertus et de l’esprit comme un démon. L’amitié d’une grande demoiselle sera utile à votre fils Thomas ; il est juste qu’en revanche il accorde sa protection à une pauvre fille. En votre qualité de père, vous ferez du bien à ma protégée, n’est-ce pas, Des Riviez ?

— Monseigneur, répondit le major en balbutiant, l’honneur que votre altesse daigne me faire… Sans aucun doute, je voudrais pouvoir… Nous ne sommes point riches, monseigneur…

— Point riches, interrompit le duc, mais ambitieux et passablement courtisans. Fi ! Des Riviez, pour un militaire, cela n’est guère généreux. Vous imaginez-vous par hasard qu’on vise à votre bourse et qu’on vous demande l’aumône ? Puisque je protège cette bavolet te,