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tout ? Telle est l’unique et modeste question que nous nous permettrions d’élever au nom de la philosophie.

Pour suivre dans leurs rapports réciproques les divers élémens sociaux et assigner à chacun sa juste part de services dans l’œuvre totale de conservation et de progrès, pour montrer comment la philosophie peut leur venir en aide par les idées qu’elle répand des penseurs dans les masses, des hauteurs de la métaphysique dans les sciences morales et politiques, ses inséparables annexes, il faudrait écrire un livre. Aussi aspirons-nous bien moins à résoudre la question qu’à la poser, et à faire naître la conviction qu’à éveiller le doute. Le nom de M. Cousin, qui a soutenu depuis plus de trente ans tant de luttes énergiques en l’honneur de la philosophie, permet, autorise peut-être ces préliminaires un peu sérieux, un peu dogmatiques même, nous ne nous en défendons pas. C’est la loi de notre temps de chercher des vérités utiles et des conclusions pratiques dans les sujets qui semblent le plus se confondre soit avec l’abstraction pure, soit avec l’art. Toute étude, quoi qu’on fasse, tourne à la thèse de philosophie et de politique ; on veut exposer, et l’on discute ; lors même que l’on ne croit que peindre, il se trouve que l’on combat.

Nous nous tournons vers ces forces sociales que nous nommions tout à l’heure, et nous leur disons : Vous auriez tort, ou plutôt les amis zélés qui parlent comme vos chargés de pouvoir auraient tort de ne pas désirer le concours de la philosophie ; il y aurait pour vous, à le mépriser, imprudence et péril. Le meilleur de votre puissance tient encore à la discussion, à cette discussion approfondie qui s’appelle éminemment la discussion philosophique.

L’instinct de conservation a le droit de se montrer fier. Un moment décontenancé et paralysé, il a pris dans de sinistres journées une héroïque revanche ; mais essayez de lui ôter la lumière de la pensée et de l’abandonner à lui-même : combien de temps estimez-vous qu’il résistera aux sollicitations incessantes d’une fausse science qui se présente à lui les mains pleines des plus séduisantes promesses ? Il serait mal sûr également aux intérêts de se moquer des théories. Il n’en a fallu qu’une seule, qu’ils ne l’oublient pas, une des moins spécieuses, pour les faire trembler du sommet à la base ! Pourquoi des intérêts légitimes craindraient-ils de revendiquer par l’examen leurs titres contestés ? Pourquoi auraient-ils peur de la pensée ? N’est-ce pas elle qui les consacre, qui les défend ? Je ne sache pas qu’on se fasse tuer pour le pur plaisir de conserver au riche son hôtel, quand soi-même on habite une mansarde ; mais on se fait tuer pour le principe de propriété. Hors des principes et des droits, je ne vois que la lutte de l’égoïsme qui se défend contre l’égoïsme qui attaque. Tactique étrange, quand on a pour soi les principes de paraître en faire hommage à ses