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adversaires ! Espérons mieux. Les intérêts sacrés de la société émancipée et renouvelée de 89 sauront, comme ils ont commencé à le faire, en appeler eux-mêmes à la pensée philosophique, à la science ; ils se fieront à la vertu de l’esprit qui pour une si grande part les a établis et constitués.

On a beau jeu, quand on se met à démontrer qu’une société privée du principe d’autorité et du principe religieux courrait grand risque de mort ; nous admettons, quant à nous, tout ensemble et l’insuffisance et la nécessité du principe philosophique dans les sociétés humaines. L’influence du christianisme est excellente pour inspirer aux âmes des sentimens opposés en apparence, mais dont l’harmonie, grace à Dieu, est possible, et suffirait à établir dans le monde l’ordre moral telles sont l’humilité et la force, la résignation et l’espérance. Les démocraties surtout ont besoin de deux choses pour vivre et se développer un idéal à poursuivre et la patience pour y atteindre. Je crois que, pour une grande part, le christianisme peut les leur donner. Ce n’est donc pas sa compétence morale, ni même démocratique, qui est ici en cause ; c’est seulement sa compétence universelle. Il y a des esprits qui, toutes les fois qu’une difficulté sociale surgit, toutes les fois qu’une question de limites s’élève entre les intérêts des diverses classe et met les rivalités aux prises, répondent uniformément par la religion. Ces esprits se trompent. Le christianisme touche à la politique, mais il n’est pas la politique. Ce n’est pas sa tâche d’enseigner la meilleure organisation de l’état. Loin de la déterminer, il s’y plie. Le christianisme n’a pas d’avis sur les lois qui président à la production et à la répartition des richesses. En prescrivant de rendre à César, c’est-à-dire à l’état, ce qui lui appartient, il nous laisse ignorer où doit commencer, où doit finir son domaine. On peut prétendre qu’il contribue à affranchir le travail en France ; mais il l’a organisé, on sait comment, au Paraguay. On l’a vu s’accommoder de l’esclavage même. Ne disserte-t-on pas pour savoir s’il n’y a pas des germes d socialisme dans le christianisme naissant ? On avouera que, sur ces points, les sciences morales et politiques offrent un peu plus de précision. Qu’on nous permette encore une réflexion. Le christianisme qu’on invoque est sans doute un christianisme éclairé. Or, qu’est-ce qu’un christianisme éclairé, si ce n’est celui qui, outre les lumières qu’il tire du sein même de la religion, ne dédaigne pas d’en emprunter quelques-unes à la philosophie, à la science, à la civilisation ? Une religion éclairée repousse le socialisme et renie l’esprit de faction ; qui vous dit qu’une religion non éclairée, c’est-à-dire séparée de toute lumière rationnelle, ne s’en accommodera pas fort bien ? De telles alliances sont-elles sans exemple au moyen-âge et aux époques modernes antérieures aux progrès de la philosophie ? Les sectes religieuses qui poursuivaient