Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/465

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
459
LA BAVOLETTE.

de M. de Buc. Le gentilhomme avait un air sombre et intimidé tout ensemble.

— Mon enfant, dit-il avec hésitation, vous avez bien fait de vous parer, je viens précisément vous quérir de la part de la princesse.

— Comment cela se peut-il ? répondit Claudine. Je la quitte à l’instant. Je me suis séparée d’elle avec bien des regrets ; mais, avant de retourner chez elle, je désire au moins revoir ma mère.

— Votre mère ne rentrera point d’aujourd’hui, reprit de Bue, et je vous mènerai où elle est, si vous le souhaitez.

— Je ne bougerai d’ici, monsieur.

— Eh bien ! puisqu’il faut tout vous dire, apprenez que je viens vous chercher pour vous mener à Saint-Maur, chez votre protecteur, M. le prince, à qui je suis. Il vous ménage une surprise ; faites semblant de ne vous attendre à rien, car il me gronderait fort de vous avoir avertie.

— Excusez-moi, monsieur ; je ne bougerai point d’ici.

De Bue mordit ses moustaches et fît le tour de la chambre à grands pas. La bavolette, effrayée, le regardait en se demandant tout bas quel intérêt pouvait avoir un si bon gentilhomme à s’abaisser au mensonge. Tout à coup de Bue jetta son chapeau sur la table, et, croisant ses bras :

—Finissons cette comédie, dit-il ; c’est assez jouer l’innocente. Quelles accointances avez-vous avec votre prétendue princesse ? Par qui vous a-t-elle fait donner ces nippes et ce bracelet ? Vous me plaisez ; je vous trouve jolie ; combien vous faut-il ?

— Jésus ! s’écria Claudine en chancelant, que signifie cela ? Vous vous trompez, monsieur. Je n’entends rien à ce langage, ou plutôt je tremble de le trop bien entendre.

— Vous ne voulez point me suivre ? reprit le gentilhomme d’une voix terrible :

— Moins que jamais, monsieur, répondit Claudine.

— Au fait, vous êtes sans doute à trop haut prix pour ma bourse, et je préfère vous enlever ; ce sera plus économique.

M. de Bue siffla comme s’il eût appelé des chiens. Aussitôt trois estaflers qui guettaient à la porte se précipitèrent sur la bavolette, et la saisirent à bras le corps. L’un d’eux s’apprêtait à lui mettre un bâillon sur la bouche, lorsqu’il s’aperçut de l’inutilité de la précaution : la pauvre fille était évanouie. On la porta dans le carrosse, et les chevaux partirent au triple galop.

Paul Db Musset. (La seconde partie au prochain n°.)