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qu’il ne se regarderait jamais comme obligé d’acquiescer après coup à des déterminations qui n’auraient pas été antérieurement discutées et convenues entre eux. Les premières paroles adressées par le ministre de France au représentant d’une puissance avec laquelle il était disposé à concerter ses démarches étaient de nature à assurer pour l’avenir cette parfaite indépendance d’action que le cabinet français n’avait jamais voulu aliéner.

« Je n’apporte dans ce pays, dit M. de Bois-le-Comte, aucune idée plus sincère, plus fortement prononcée que le désir de m’entendre avec vous. Nous aurons, j’espère, de longs et bons rapports ; mais je ne crois pas ces rapports possibles, si chacun ne s’est bien expliqué sur le caractère qu’il entend leur donner. Je vous répéterai pour cela ce que j’ai dit successivement dans une position analogue à trois ministres anglais, qui ont été mes collègues. Tous les trois ont essayé de faire avec moi ce que vous faites en ce moment, d’aller de l’avant et de me dire ensuite : Me voilà là ; si vous n’y venez pas, vous rompez l’accord. Je leur ai répondu à tous les trois : « Je ne comprends l’accord qu’à la suite d’un concert préalable ; vous me trouverez toujours prêt à accorder mes idées avec les vôtres, à les soumettre même aux vôtres, ou du moins à en sacrifier une grande partie pour obtenir l’avantage d’une marche commune ; mais je ne viendrai jamais me réunir à une démarche faite sans mon consentement, dans l’idée qu’en prenant les devans on m’entraînerait à la suite. » Je crois donc, monsieur le baron, pour fonder entre nous les bases d’une entente sérieuse et durable, devoir commencer par vous avouer à vous-même la grave préoccupation qui va d’abord influencer mon opinion[1]. »

Cependant, s’il y avait à prendre grand soin de notre attitude vis-à-vis de l’Autriche, il n’importait pas moins de ne pas laisser l’opinion de la Suisse s’égarer sur les intentions de notre gouvernement. Jusqu’au 12 mai, jour où devaient avoir lieu les élections de Saint-Gall, tout espoir de transaction n’était pas perdu. Depuis le moment où il était entré en Suisse, M. de Bois-le-Comte ne cessa point, dans ses conversations avec les hommes qui pouvaient exercer quelque influence sur l’état des esprits, de s’attacher à caractériser la politique que la France entendait suivre envers le corps helvétique. Non content de s’en expliquer avec tous ceux que sa position officielle lui donnait occasion de rencontrer, l’ambassadeur de France entreprit dans tous les cantons suisses, du mois de janvier au mois de mai 1847, une tournée quasi-officielle, qui avait surtout pour but de le mettre à même de faire entendre un langage sincère, net et amical, aux différens chefs des partis qui divisaient alors la Suisse. Nous ne saurions donner une idée plus juste de ces entretiens différens dans le ton et dans la forme, suivant les personnes et les localités, mais dont le fond était toujours à peu près le même, ni faire mieux saisir la vraie tendance des sages conseils que M. de Bois-le-Comte s’efforçait alors de faire accepter par

  1. Dépêche de M. de Bois-le-Comte à M. Guizot, 25 décembre 1846, n° 6.