Saint-Gall, en lui procurant la majorité dans la diète, lui fournît le moyen de revêtir sa tyrannie de la forme spécieuse d’une autorité régulière et légale. Les élections qui devaient avoir lieu à Saint-Gall allaient décider du sort de la Suisse. Enfin, une circonstance qui n’était pas sans gravité par elle-même redoublait encore la confiance des hommes exaltés, et devait causer un premier embarras au représentant du gouvernement français. Au 1er janvier 1847, Zurich cessait d’être canton vorort ; Berne allait prendre la direction des affaires fédérales. Comme on sait, le gouvernement particulier du canton directeur devient, pendant tout le temps qu’il est investi de cette qualité, le conseil exécutif de la Suisse entière, et chargé en conséquence des communications officielles du corps helvétique avec les puissances étrangères. Or, le gouvernement particulier de Berne était alors composé des personnes qui avaient pris une part directe et personnelle aux mouvemens des corps francs ; le chef de cette expédition, M. Ochsenhein, y exerçait une influence prépondérante. M. de Bois-le-Comte, quand il arriva à son poste, trouva la plupart de ses collègues du corps diplomatique, c’est-à-dire les ministres de Russie, de Prusse et d’Autriche, non-seulement décidés à quitter pour ce motif leur résidence ordinaire de Berne, mais ayant déjà annoncé leur intention d’une façon qui les liait irrévocablement, tant elle avait été formelle et presque publique. Déjà M. le baron de Krudener, ministre de Russie, avait loué ostensiblement une maison à Zurich ; M. le baron de Kaysersfeld, ministre d’Autriche, y était lui-même installé depuis long-temps. Dès la première entrevue que le représentant autrichien eut avec l’ambassadeur de France, il lui exprima la confiance que l’agent de la France ne voudrait point adopter, dans une occasion si significative, une détermination différente de celle à laquelle il s’était lui-même définitivement arrêté. Rompre préalablement avec le nouveau vorort sans avoir à articuler contre lui des griefs autres que ceux qui tenaient à la manière dont il était composé, s’ôter à l’avance toute occasion de communiquer non-seulement avec lui, mais avec tous les envoyés à la diète, qui allait être prochainement réunie, c’est-à-dire se priver de gaieté de cœur, par une brusque cessation des rapports personnels, des seuls moyens qui restaient encore d’agir sur nos adversaires comme sur nos amis, et sinon de faire ainsi un peu de bien, du moins d’empêcher peut-être beaucoup de mal, c’était une mesure à laquelle l’ambassadeur de France, pouvait être obligé d’avoir plus tard recours, mais qu’il ne lui convenait pas d’adopter au début, et uniquement par déférence pour ses collègues d’Autriche et de Russie. M. de Bois-le-Comte se prononça très nettement à cet égard. Tout en protestant en termes positifs de sa ferme volonté de marcher habituellement d’accord avec M. de Kaysersfeld, il lui fit amicalement sentir
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