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« Vous comprenez, ajouta ensuite M. Peel avec plus de calme, que je ne me suis pas lié avec des gens comme les radicaux par amitié pour eux ; mais la guerre est finie, et l’on m’a fait jouer un rôle qui me blesse beaucoup[1]. »

Quel était ce rôle que l’on avait fait jouer à M. Peel, et dont il se montrait alors si vivement blessé ? La dépêche suivante ne laisse aucune incertitude à ce sujet.

« Attachant une juste importance à établir près de votre excellence, avec le plus de certitude possible, quelles ont été ici les intentions et la conduite du cabinet anglais dans ces dernières circonstances, j’avais chargé M. de Massignac de confirmer, par un témoignage irrécusable, ce qui ne pouvait encore, de notre part, être considéré que comme une opinion, un soupçon, le double jeu de lord Palmerston qui pressait les opérations militaires en Suisse et retardait les négociations à Londres, afin d’annuler les unes par les autres ; j’avais exprimé à M. de Massignac le désir qu’il pût en avoir l’aveu de la bouche même de M. Peel. Voici ce qu’il m’écrit de Berne :

« L’affaire de la mission du chapelain de la légation d’Angleterre est éclaircie.

« Ce matin (29 novembre 1847) je fuis chez M. le ministre d’Espagne. Après avoir causé avec lui de la lettre que j’ai eu l’honneur de vous adresser ce matin, et à laquelle il donne son entière approbation quant à l’exactitude : « Je voudrais bien savoir, lui dis-je, si vraiment Temperly a été, de la part de Peel, dire au général Dufour de presser l’attaque contre Lucerne. — Qui est-ce qui en doute ? me répondit-il. Pour moi, j’en suis sûr ; je le tiens de bonne source, et j’en mets ma main au feu, me répéta-t-il à plusieurs reprises. — Je le crois, ajoutai-je ; mais j’aurais quelque intérêt à le faire avouer à Peel lui-même, et devant quelqu’un, vous, par exemple. »

« L’occasion s’en est présentée dès ce matin. — Nous parlions avec Zayas et Peel des affaires suisses et de la manière dont les différens cabinets les jugeaient. « Aucun cabinet de l’Europe, excepté celui de l’Angleterre, n’a compris les affaires de Suisse, dit Peel, et lord Palmerston a cessé de les comprendre lorsqu’il a approuvé la note identique. — Avouez au moins, lui dis-je, qu’il a fait une belle fin, et que vous nous avez joué un tour en pressant les événemens. » Il se tut. J’ajoutai : « Pourquoi faire le mystérieux ? Après une partie, on peut bien dire le jeu qu’on a joué. — Eh bien ! c’est vrai, dit-il alors : j’ai fait dire au général Dufour d’en finir vite. » Je regardai M. de Zayas pour constater ces paroles. Son regard me cherchait aussi.

« Cependant, monsieur l’ambassadeur, je n’ai pas voulu vous apprendre cet aveu légèrement, et, ce soir, j’ai demandé à M. de Zayas s’il considérait l’aveu comme complet. « Je ne sais pas ce que vous voudriez de plus, me répondit-il, à moins que vous ne vouliez une déclaration écrite. Quand je vous disais ce matin que j’en mettrais ma main au feu[2] ! »

Nous avons hâte de sortir de ces pénibles détails, que nous aurions préféré ne point relater, s’ils n’eussent été nécessaires pour éclaircir, un des points les plus curieux de notre histoire contemporaine. Est-il besoin maintenant de dire quel fut le succès de la tactique de lord

  1. Dépêche de M. de Bois-le-Comte à M. Guizot, 2 décembre 1847, no 212.
  2. Dépêche de M. de Bois-le-Comte à M. Guizot, 31 décembre 1847, no 240.