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Palmerston ? Pendant qu’en signant la note concertée ; il disait à M. de Broglie : « Notre médiation, je le crains bien, sera devancée par les événemens[1] ; les radicaux suisses, obéissant à ses exhortations, en finirent vite non-seulement avec la résistance de leurs adversaires de Fribourg et de Lucerne, mais aussi avec les principes de la justice et de l’humanité. On s’est étonné du peu de temps qu’avait duré la lutte, ou plutôt de ce qu’il n’y avait point eu de lutte sérieuse. Que pouvaient 300,000 individus, les plus pauvres de la Suisse, contre 1,900,000 habitans des cantons les plus riches et les plus puissans ? Qu’on ne s’y méprenne pas toutefois, ce ne fut pas leur infériorité numérique qui paralysa les cantons du Sunderbund ; ce fut l’effet moral de l’inconcevable abandon où leur cause était laissée de toutes parts. L’opinion publique française, abusée par des journaux mal informés ou aveuglés par l’esprit de parti, s’était prononcée contre eux. Le gouvernement anglais les avait livrés à leurs ennemis. Enfin, en Suisse même, les hommes les plus distingués du parti modéré, se croyant sans doute liés d’honneur par la consigne militaire, avaient consenti à servir dans l’armée radicale. M. Dufour, le général en chef, et cinq sur sept des commandans généraux, étaient conservateurs. Leur exemple avait entraîné la plupart des officiers inférieurs qui professaient les mêmes opinions. Des bataillons entiers, maudissant le joug odieux des radicaux, obéissant cependant aux ordres de la diète, s’acheminaient, le remords dans l’ame, vers le théâtre de la guerre. En voyant s’avancer contre eux ces chefs et ces soldats, porteurs du brassard fédéral, les mêmes cantons conservateurs, qui avaient jadis combattu de si grand cœur les corps francs, furent saisis de trouble et d’incertitude. Eux qui avaient culbuté sans crainte les bandes illégales dirigées par le volontaire M. Ochsenbein, ils hésitèrent à se défendre contre les troupes régulières réunies par M. Ochsenbein, président du vorort, et menées contre eux par un général conservateur nommé par la diète. En plusieurs endroits, les masses populaires demandèrent en vain à être menées au combat ; leurs chefs préférèrent capituler. On sait ce que furent ces capitulations, on sait surtout comment elles furent observées.

Il n’entre point dans notre intention de raconter ce que fut le régime des cantons du Sunderbund après le triomphe des radicaux. Nous n’avons pas non plus à dire comment, affranchi par son succès des ménagemens qu’il avait gardés jusqu’alors, le parti vainqueur s’abandonna à ces excès grossiers si énergiquement stigmatisés par M. de Montalembert à la tribune de la chambre des pairs, avec une chaleur et des accens qui ne sont pas encore sortis de la mémoire des gens de bien. Nous nous renfermerons strictement dans notre sujet,

  1. Voir les dépêches de M. de Broglie du 3 décembre 1847, communiquées aux chambres en janvier 1848.