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en constatant simplement l’universelle réprobation attirée sur la diète par son rejet déloyal des conditions de la capitulation qui lui avaient livré les portes de Fribourg, par les actes de violence et de spoliation éhontées qu’elle a exercés contre les vaincus, et par le joug oppresseur et tyrannique qu’elle leur a imposé. Tant d’iniquités n’eurent pas seulement pour effet de provoquer la démission des généraux suisses, embarrassés de mettre plus long-temps leur épée au service d’une cause qui, se montrant enfin à leurs yeux telle qu’au fond elle avait toujours été, soulevait leur cœur d’indignation ; elles ne servirent pas non plus seulement à désabuser une portion du public européen, elles modifièrent les vues de ceux-là même qui s’étaient fait au début les alliés, nous allions presque dire les complices du parti radical en Suisse. Le secrétaire d’état de sa majesté britannique parut presque regretter la bienveillance qu’il avait témoignée à des gens qui, après en avoir fait un si bruyant étalage dans le temps où ils en avaient besoin, se montraient, depuis leur victoire, si peu disposés à la reconnaître par un peu de déférence pour ses conseils. En effet, le nouvel envoyé, sir Strafford Canning, d’abord bien accueilli par M. Ochsenbein et ses amis, n’avait pas tardé à les voir s’éloigner de lui, dès qu’il avait voulu leur prêcher le calme, la modération et la justice. Chaque jour, il se montrait plus dégoûté de la tâche ingrate qui lui avait été confiée d’avoir à faire entendre raison à de pareils protégés.

«… La mission de sir Strafford Canning touche à son terme ; il m’a annoncé hier (écrit à M. de Bois-le-Comte le même correspondant) son dessein de quitter la Suisse.

« Je vois, me disait-il, qu’on ne suit pas mes conseils, et ma position devient intenable. J’ai appuyé mes démarches officielles de lettres particulières et amicales à M. Ochsenbein ; ce matin encore, je lui ai écrit pour lui recommander l’amnistie. Tout cela sera sans résultat. Ochsenbein et Funck ont le désir du bien, mais les autres membres du gouvernement sont les bras des clubs, et, si je confonds dans mes souvenirs M*** et M*** avec les ours de pierre qu’on voit sur la porte de Berne, ce sera leur faute, car je n’ai pas pu avoir l’honneur de les voir.

« Il avait un air triste en me disant ces paroles. Il ajouta que, depuis longtemps, il s’apercevait de la justesse des renseignemens que je lui avais donnés sur les hommes et sur les choses ; qu’il y a trois mois, il avait balancé pendant trois jours pour savoir s’il ne partirait pas immédiatement ; que lord Palmerston avait laissé à son jugement de partir ou de rester ; qu’il avait pensé que sa présence ferait mieux écouter ses conseils, mais qu’aujourd’hui il était désabusé et qu’il allait quitter ce pays[1]. »

Sans doute, s’il n’eût écouté que son inclination, sir Strafford Canning serait parti plus tôt d’un lieu où ses sages conseils étaient si mal

  1. Dépêche de M. de Bois-le-Comte à M. Guizot, 23 janvier 1848.