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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/52

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Loin de répudier, elle honore, elle prend, pour ainsi parler, à son compte les modernes tentatives qui ont pour objet de développer et d’embellir la vie physique, surtout de l’assurer au plus grand nombre. Son principal but, en cela comme en tout, c’est de dégager l’esprit des entraves qui l’embarrassent et l’oppriment, des obstacles qui s’opposent à sa prise de possession universelle. Par son indomptable liberté et son invincible instinct de progrès, l’esprit, à ses yeux, est le grand réformateur ; mais, par ses lois permanentes et par l’ordre régulier et logique de ses développemens, il est aussi conservateur par excellence. Il fonde la société, constitue l’état, consacre et maintient toutes les légitimités jusqu’à ce que, tombées au-dessous de leur mission et de son idéal, c’est-à-dire devenues illégitimes, il les renouvelle. Si les formes sont variables, le fond est stable. L’édifice change, les bases restent. Ces fondemens immuables sont le devoir et le droit étroitement unis, le libre arbitre et la justice, et, avec la justice, le sacrifice et le dévouement. On le voit, une telle philosophie respecte l’homme. Ce respect, son principal dogme, elle l’érige en règle obligatoire devant la conscience individuelle, elle le traduit en lois positives dans les codes. On peut dire qu’au double point de vue spéculatif et politique, elle a accompli sa tâche, quand elle est parvenue à formuler ces principes de respect mutuel avec clarté et profondeur, et à les faire passer avec toutes leurs applications dans les mœurs des nations, dans les lois des états, dans la conduite des gouvernemens.

La philosophie opposée diffère radicalement dès le point de départ. Elle a pour principe l’égalité de l’esprit et de la chair. Avec elle, il ne s’agit plus de l’idée d’épreuve. Le bonheur, voilà le mot par lequel elle attire les masses. Le bonheur consiste dans la satisfaction intégrale de toutes les passions, sacrées au même titre, et contre lesquelles la lutte est, non pas une obligation, mais une ineptie et un crime. Le bonheur absolu est possible. L’homme a reçu les moyens d’y parvenir, et il y parviendrait aisément sans les tyrannies de tout genre, morale, religieuse, industrielle, qui l’oppriment depuis des siècles. Le passé est l’enfer ; le ciel, c’est l’avenir. Pour l’établir ici-bas, il ne s’agit que de modifier le milieu dans lequel l’individu se développe. Liberté morale de faire le bien et de résister au mal, chimère ! Lutte contre soi-même au nom du devoir, abrutissement systématique ! Responsabilité devant Dieu, devant soi-même et les autres hommes, imagination folle et mauvaise, fantôme incommode qu’il faut chasser à tout prix de son intelligence et de son cœur ! L’individu n’est ni bon ni méchant. Le pauvre arbuste battu des vents reçoit tout du sol où il croît, de la rosée qui le baigne, du soleil qui l’échauffe. Dans cette doctrine, tout s’enchaîne. Le dieu-nature, voilà sa religion ; l’esprit et la matière, deux termes égaux ou identiques dans l’homme comme dans le premier être, voilà sa théorie