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psychologique ; le droit absolu de chacun sur toutes choses, c’est-à-dire la satisfaction illimitée des besoins, voilà sa morale ; enfin l’état, maître absolu, grand distributeur des salaires qu’il proportionne à ces mêmes besoins sans nul égard à l’effort, au mérite, ou, par une conséquence contraire, la démagogie la plus extrême et l’individualisme le plus anarchique, voilà sa politique. Cette philosophie peut s’appeler la philosophie des appétits, la philosophie de la chair. C’est le panthéisme de la matière avec tout son cortége de conséquences, l’art de jouir porté jusqu’à un illuminisme qui se donne les airs d’une religion, l’égoïsme arrivant à l’extase et s’emportant jusqu’à sa propre apothéose.

Que fait la société en présence d’un combat dont elle sait qu’elle doit être le prix ? Toutes les fois que les conséquences de cette dernière philosophie sont clairement, brutalement énoncées, elle s’en indigne toutes les fois qu’elles menacent de s’imposer par la violence, elle se porte à la défense des points menacés ; mais quand la lutte se borne aux principes, ou seulement quand les conséquences se présentent un peu adoucies, elle paraît indécise, partagée, sinon indifférente. Que le spiritualisme ait tort ou raison, on dirait que cela ne la regarde pas. Il ne lui déplaît pas même d’aller butiner dans les doctrines contraires. On la voit emprunter aux deux systèmes ennemis, tantôt au hasard, tantôt par goût et par choix, des motifs de penser et, d’agir. L’inconséquence lui est douce, et l’idée du bonheur absolu sur la terre, de la satisfaction égoïste, comme but de la vie, n’aurait rien, par exemple, qui répugnât à sa croyance. Sa foi philosophique est de sorte à s’arranger volontiers du matérialisme pratique. Seulement ne vous avisez pas d’être conséquent ! Malheur aux raisonneurs déterminés qui réclament immédiatement leur part de l’Eldorado promis, et vont s’embusquer derrière les barricades ! Alors on la verra, ne prenant conseil que de la nécessité et du péril, se lever en masse, et, s’armant de bon sens et de courage, battre pour ainsi dire dans leurs derniers résultats ces principes qui, en eux-mêmes, ne lui faisaient pas, sous une plus douce apparence, tant s’en faut, une égale horreur.

Suffit-il de se réveiller ainsi sur la sommation du péril, et n’y a-t-il pas lieu de craindre que la logique ne finisse par tout emporter ? Il y aurait à le croire une dangereuse illusion, et nous pensons qu’il est temps d’agir avec non moins de virilité dans la sphère des idées que dans celle des événemens. Tant que notre esprit vivra au jour le jour, il en sera de nos intérêts comme de notre esprit. Divines ou humaines, révélées ou philosophiques, il faut à la société des croyances où elle s’établisse avec plus de fermeté et de fixité qu’elle ne le peut faire dans ce mélange confus d’idées mal assises, véritable va-et-vient d’opinions où elle se bercerait plus ou moins long-temps jusqu’à une catastrophe