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écrivain satirique appelait les radicaux mal élevés, aux hommes de l’école de Manchester, aux fondateurs de la fameuse ligue. Ce ne sont plus des hommes à idées philosophiques, remontant toujours aux principes. L’école de Manchester a pour les idéologues le même dédain que Napoléon ; elle invoque surtout les faits matériels, elle se vante de ne juger les choses que par leur côté pratique, et de conduire la politique comme les affaires avec des livres en partie double. Ses représentans sont tous des hommes sortis des rangs les plus humbles de la société, arrivés à la fortune par le travail et l’industrie, et à l’influence par la fortune ; ils ne sont pas plus libéraux que les radicaux, mais ils ont de plus qu’eux l’amour-propre de la roture. Mettez M. Cobden sur le chapitre de Manchester et des hommes du Lancashire ; il ne parlera pas dix minutes sans faire l’éloge de cette race patiente, industrieuse, énergique, pleine de volonté, qui mérite d’avoir et qui aura entre ses mains la conduite de l’Angleterre ; il fera l’éloge de ses compatriotes, et c’est lui-même qu’il peindra. Les hommes de Manchester ont, les premiers, apporté dans la politique anglaise la distinction et la jalousie des castes. Toute autre influence que celle qui résulte du travail personnel et de la fortune péniblement acquise leur est importune et odieuse. Ils affectent de séparer la nation en deux parts : « la mousse aristocratique - et le vieux tronc saxon, » les parasites whigs et tories - et les classes laborieuses. Ils ne font point de distinction entre les partis, ils les confondent dans une égale animadversion. Quand la politique ne retient pas la langue de M. Cobden, ou quand il se laisse entraîner par les applaudissemens d’un auditoire complaisant, les whigs ne sont pour lui que des roués qui s’empressent de s’emparer des réformes au moment où elles vont réussir, de peur que quelques miettes du pouvoir et quelques hochets aristocratiques ne tombent entre les mains des fils des Saxons. Il y a quelques mois, au banquet de Wakefield, il disait : « Nous n’aurons pas besoin d’être en majorité pour obtenir le gouvernement à bon marché. Quand le peuple de Manchester ; de Londres, d’Édimbourg, du Lancashire et di. Yorkshire le demandera par notre bouche, les whigs le donneront. Si nous étions en majorité, la reine devrait nous appeler, et vous comprenez que cela ne ferait pas leurs affaires. Ils se chargeront donc de faire la besogne pour nous, quoi qu’ils puissent avoir au fond du cœur. » M. Bright disait le même jour : « Que nous importent les whigs et les tories ? Nos pères étaient bien bons de se laisser prendre à ces attrapes. Il nous faudra balayer un jour de la scène politique bien des choses qui y tiennent trop de place. »

C’est là un langage tout nouveau, et qui, avant 1837, n’avait jamais retenti à la tribune anglaise. C’est le renversement de ce qui s’est passé pendant cent soixante ans. La nation anglaise, jusqu’ici, s’est divisée