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Nous n’avons parlé jusqu’ici que de sujets qui tournaient nos regards plutôt vers les remèdes de nos maux que vers nos maux eux-mêmes. La mention qu’il nous faut faire de la discussion de la loi sur la transportation des insurgés de juin en Algérie vient rompre cette suite de réflexions consolantes ; mais cette mention a aussi son utilité. Elle nous montre que nous sommes toujours sur le même abîme et que le volcan brûle et gronde toujours.

La montagne n’aime pas qu’on lui parle des journées de juin, et, quand elle en parle elle-même, c’est avec un sentiment de dépit et de colère qu’elle ne peut pas dissimuler. Les journées de juin ont été la première victoire de la société contre les élémens ligués pour la détruire ; à ce titre, elles ont dû laisser des souvenirs amers dans cette partie de l’assemblée, qui n’est pas connue jusqu’ici pour s’être beaucoup réjouie des victoires de la société. Il ne faut donc pas s’étonner si, de ce côté de l’assemblée, on a profité d’une occasion qui s’offrait naturellement pour chercher à réhabiliter les journées de juin L’assemblée législative s’est résignée à entendre l’apologie des journées de juin, et sa résignation a duré quatre séances. Il a fallu, dans cette enceinte où siègent les généraux illustres qui ont vaincu l’insurrection, dans cette enceinte où siège le général Cavaignac, entendre discuter la question de savoir quels sont les vrais auteurs de cette guerre impie, qui a commis le crime, qui l’a provoqué, qui doit répondre du sang répandu. Nous avions cru jusqu’ici, et toute la France avait cru comme nous, que la responsabilité de ces fatales journées appartenait tout entière à la politique du Luxembourg et des ateliers nationaux, aux circulaires du gouvernement provisoire, aux bulletins de la république ; nous étions dans l’erreur. L’insurrection a été provoquée par le parti modéré. La réaction conspirait ouvertement contre la république : les barricades n’ont été dressées que pour défendre la république contre la réaction. Les intrigues et les complots des royalistes avaient poussé le pays à bout ; la misère a fait le reste. C’est donc aux royalistes qu’il faut demander compte du sang versé. Les insurgés de juin ont été entraînés par un mouvement légitime dans son principe. Ils sont plus dignes de pitié que de colère. C’est M. Jules Favre qui l’affirme, et qui invoque en leur faveur des circonstances atténuantes.

Il fallait une réponse, au nom de l’armée, à cette justification des journées de juin. C’était l’armée en effet, c’était la garde nationale qui étaient attaquées dans leur honneur. Si les insurgés de juin sont innocens, c’est l’armée qui est coupable. Si la cause des barricades a été juste et légitime dans son principe, les factieux sont ces gardes nationaux, ces pères de famille qui sont allés se faire tuer devant les barricades à bout portant. Cette réponse que l’honneur des défenseurs de l’ordre exigeait, M. Léon Faucher et le général Bedeau se sont chargés de la faire, et ils l’ont faite avec un sentiment d’indignation qui a été presque universellement applaudi par l’assemblée. En somme, la réhabilitation essayée par la montagne n’a eu d’autre résultat que de démontrer une fois de plus l’obstination du parti révolutionnaire. Elle a montré aussi jusqu’où pouvait aller son ingratitude. Le parti révolutionnaire se plaint amèrement des rigueurs du gouvernement actuel ; il lui reproche sa cruauté ; il oppose à ce système de transportation en masse et de détention arbitraire, qui est devenu le régime habituel de la république, les lois beaucoup plus douces de la monarchie, où l’on