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du siècle comme un sentiment et comme une généreuse espérance. Le spiritualisme avait eu sous leur plume toute la spontanéité et tout l’éclat, mais aussi le caractère inévitablement indécis de l’imagination et de l’instinct. Le siècle était touché plus que convaincu ; la raison et le cœur restaient aux prises ; il ne pouvait appartenir qu’à la science de les réconcilier.

Voici où en était, à la fin de l’empire, la philosophie dans cette lente transformation que M. Cousin devait consommer avec éclat. M. Maine de Biran avait retrouvé et décrit avec une force, une originalité non surpassées depuis, la volonté libre de l’homme, une et identique sous le flot mobile des sensations, commençant par là à tirer la philosophie des voies du fatalisme si clairement écrit dans la plupart des systèmes en vogue. Appuyé sur une analyse moins profonde, mais plus claire dans la forme, M. Laromiguière, en restituant dans la science le principe d’activité, avait aussi contribué à montrer dans l’ame autre chose que ce je ne sais quoi de passif et de purement réceptif, semblable au liquide qui prend la forme de tous les vases. S’aidant enfin de l’analyse des Écossais, M. Royer-Collard avait indiqué fortement dans l’esprit la présence et le rôle de principes intellectuels et de principes actifs différens de la sensation, dont ils règlent l’exercice, et à laquelle ils ne doivent pas leur origine. C’étaient là assurément des résultats considérables, mais partiels, presque épars, et qui ne pouvaient prendre une signification un peu nette et frappante qu’à la condition de former un corps de doctrine et d’abord d’être eux-mêmes éclaircis, complétés dans une forte mesure. Or, à la date de 1815, on n’entrevoit en aucune façon les premiers linéamens de cette organisation ; ces travaux mêmes ne dépassaient guère l’enceinte de l’école, et n’y avaient éveillé qu’un faible écho destiné peut-être à y mourir.

L’École normale s’était ouverte en 1810. Création de l’empire, elle ne tarda pas à réagir contre l’esprit impérialiste. C’était une pépinière d’idéologues que Napoléon avait semée là sans le savoir ; le régime du droit divin restauré devait éprouver un jour l’opposition redoutable de cette petite armée, en qui frémissait l’esprit libéral des classes éclairées. M. Victor Cousin (né le 28 novembre 1792) était entré à l’école à l’âge de dix-huit ans. L’enseignement religieux, c’est-à-dire surtout les conseils et l’exemple d’une mère, simple et pieuse, telle était alors à peu près toute sa philosophie. L’auteur des Fragmens philosophiques nous a raconté la profonde émotion dont il fut saisi la première fois qu’il entendit M. Laromiguière. Ce jour décida de toute sa vie. Sous le charme des leçons de l’aimable maître, le jeune adepte lutta quelque temps contre l’enseignement de la philosophie écossaise : mais enfin il fallut céder devant l’autorité d’un maître plus imposant. L’enseignement de M. Royer-Collard reste, à vrai dire, la borne solide d’où il prit l’essor.