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En dépit de l’opposition toute bienveillante du directeur de l’école, M. Guéroult, le traducteur de Pline, qui, jaloux de le garder aux lettres, l’avait nommé, étant encore sur les bancs, répétiteur et bientôt maître de conférences de littérature à l’école, M. Cousin devait traverser seulement ce genre d’enseignement, où il laissait dans le souvenir une trace brillante. En 1815, pendant les cent jours, il professa la philosophie au lycée Bonaparte, et, vers la fin de la même année, M. Royer-Collard, placé à la tête de l’Université, l’appela à le suppléer à la Faculté des Lettres dans la chaire d’histoire de la philosophie moderne que le jeune professeur occupera sans interruption jusqu’en 1820. En même temps les conférences philosophiques remplaçaient définitivement les conférences littéraires. C’est sur ce double théâtre de l’École normale et de la Faculté des Lettres, celui-ci public et déjà retentissant, celui-là plus intime et plus familier, où l’ame du professeur pouvait plus librement et plus efficacement influer et se répandre, que commença véritablement la réforme philosophique.

Pour mener à bien cette difficile entreprise de réconcilier avec l’esprit de la révolution le spiritualisme, qui, se reprenant aux vieilles formes, faisait cause commune avec tous les genres de réaction ; pour accomplir cette tâche ardue de donner à l’esprit de 89, qui, par ses mauvaises alliances, perdait sa propre cause, la force et l’appui de la foi spiritualiste dont le besoin tourmentait les générations nouvelles, il fallait plus que de l’éloquence et de généreux mouvemens : il fallait des procédés sûrs, une méthode scientifique. Sans doute, on ne pouvait se flatter, par de tels moyens, d’arriver directement jusqu’à la multitude ; mais on se promettait d’agir sur les esprits les plus distingués de la nation, qui transmettraient l’influence salutaire par les voies plus populaires de la politique et des lettres, suivant le procédé ordinaire à l’esprit humain à toutes les époques. Ce fut là le rôle trop méconnu ; la mission bienfaisante, et en partie l’originalité de M. Cousin.

Tel est fort nettement accusé le caractère des leçons de 1815 à 1820 et des Fragmens qui s’y rapportent. La réhabilitation du spiritualisme au nom de la science dans la philosophie, dans l’histoire de la philosophie, dans la société émancipée, y est poursuivie par l’analyse et la dialectique. Voilà ce qui dénote en lui un penseur à part en même temps qu’un écrivain plein d’élévation. Nulle recherche d’allusions d’ailleurs, quelle que pût être alors la tentation, nul esprit d’opposition proprement dite ; l’énergie des convictions est partout tempérée par cette bienveillance qui naît de l’étendue de la pensée. Sa vivacité contre les doctrines de M. Destutt de Tracy, de Volney et de presque tous les savans contemporains, contre M. de Bonald et la politique qui sort de sa philosophie, se tient dans ces hautes régions où la discussion semble demeurer presque étrangère aux événemens d’alentour à force de leur