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1849. Vaincue encore, elle a espéré un instant que son drapeau abattu à Paris se relèverait à Rome contre notre armée. M. Mazzini a été vaincu comme, l’avait été M. Ledru-Rollin, et vaincu par l’Europe libérale ; n’oublions jamais ce point capital. Tel est aussi le caractère de la victoire remportée par la Prusse en Saxe et en Bade. C’est encore une victoire du libéralisme sur la démagogie. Les démagogues allemands n’ont pas été vaincus par les armes de la Russie ou de l’Autriche, c’est-à-dire par des puissances qui appartiennent, l’une tout-à-fait, l’autre beaucoup à l’Europe absolutiste. Ils ont été vaincus par la Prusse, c’est-à-dire par une puissance libérale, par une puissance qui, à l’heure qu’il est, essaie encore de conserver ou de protéger la doctrine de l’unité allemande. Nous croyons encore pouvoir compter, parmi les victoires que l’Europe libérale a remportées sur l’Europe démagogique, le résultat des dernières élections en Piémont. Là aussi la démagogie offrait la bataille, et là aussi elle a été vaincue, non pas par les armes, mais, ce qui vaut mieux, par les votes intelligens du pays.

Si nous énumérons les diverses victoires que l’Europe libérale a remportées sur l’Europe démagogique, c’est pour combattre par ces souvenirs un penchant au découragement trop fréquent dans le parti modéré. Ce découragement a deux mauvais effets : d’une part, il nous rend plus faibles devant nos implacables ennemis ; d’autre part, il nous rend faibles aussi devant nos alliés, c’est-à-dire devant l’Europe absolutiste. Ces alliés-là sont toujours prêts à devenir nos maîtres, et ils sont disposés à croire que nous avons grand besoin d’eux. Il faut savoir un peu mieux ce que nous sommes et ce que nous avons fait l’Europe libérale s’est jusqu’ici sauvée toute seule ; voilà la vérité. Ce qu’elle a fait jusqu’ici, il faut qu’elle continue à le faire.

Or, dans la question des démagogues réfugiés en Suisse, quel est l’intérêt de l’Europe libérale ? C’est en Suisse que la démagogie a commencé la grande campagne qu’elle fait depuis deux ans contre l’Europe libérale. Dans ses premières attaques, elle a profité de l’inexpérience du libéralisme, et elle a même tâché de lui faire croire que leur cause était commune. Le 24 février a cruellement détrompé le libéralisme, et depuis ce jour, la guerre s’est sérieusement engagée entre les libéraux et les démagogues. Vaincus partout, les démagogues se sont réfugiés en Suisse, d’où ils étaient partis, et c’est de là, comme d’une forteresse toujours prête à recueillir leurs défaites, qu’ils espèrent recommencer leurs incursions ; mais ils ont perdu leur plus grand prestige, l’illusion qu’ils pouvaient faire sur leur caractère et sur leurs forces. Ils, sont connus, ils sont éprouvés ; on sait qu’ils sont insupportables comme maîtres et faibles comme ennemis. Tout faibles qu’ils sont, cependant, ils peuvent encore agiter et inquiéter l’Europe libérale, et ce serait une grande faute de les laisser conspirer à leur aise dans cette citadelle placée au milieu du continent, y refaire leurs forces, épier nos faiblesses et nos lassitudes, et nous forcer à recommencer les terribles journées que nous avons traversées. L’Europe libérale a donc intérêt à l’expulsion des démagogues réfugiés en Suisse.

Comme la plupart de ces démagogues appartiennent à l’Allemagne, la Prusse et l’Autriche, qui sont chargées, à l’heure qu’il est, du soin de faire la police en Allemagne, parce que les petits états sont trop faibles pour la faire, la Prusse et l’Autriche ont un intérêt plus pressant que toute autre puissance à réclamer