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l’expulsion des réfugiés allemands. Faut-il en effet que pour être prêtes à repousser l’invasion démagogique, la Prusse et l’Autriche gardent une armée toujours sur pied ? Faut-il qu’elles continuent à faire la dépense d’un état militaire ruineux ? Faut-il qu’elles s’exposent à faire banqueroute, si elles restent armées, ou à se voir bouleversées de fond en comble, si elles désarment ? C’est impossible. Elles demandent donc à la Suisse de chasser les démagogues allemands et d’assurer par cette mesure la sécurité de l’Allemagne, sinon elles y pourvoiront elles-mêmes, Cette réclamation nous semble juste, légitime, conforme au droit des gens. Nous croyons que la Suisse y déférera ; mais si, par hasard, elle n’y déferait pas, si les intrigues et les manœuvres de la démagogie parvenaient à intéresser la Suisse dans sa querelle, si la Suisse enfin voulait résister aux demandes et ensuite aux armes de la Prusse et de l’Autriche, que devrions-nous faire alors ? C’est ici que commence la question française.

Faudrait-il soutenir, par notre diplomatie d’abord et par nos armes ensuite, la résistance de la Suisse aux réclamations des puissances allemandes ? Faudrait-il prendre fait et cause pour la démagogie, faire en Suisse le contraire de ce que nous avons fait en Italie ? Nous ne pensons pas que personne dans le parti libéral conseille cette politique insensée. La montagne pourra être de cet avis. C’est sa cause, en effet, qui est engagée en Suisse, comme elle était engagée à Rome, comme elle était engagée en Saxe et en Bade ; mais ce n’est pas notre cause. Les démagogues allemands sont les alliés des héros des barricades de juin 1848 : ce sont donc nos ennemis, il serait singulier que nous allassions nous battre pour eux.

Nous ne ferons pas la guerre pour les réfugiés allemands et italiens rassemblés en Suisse, nous n’irons pas défendre M. Mazzini en Suisse après l’avoir détruit à Rome : cela est évident ; mais devons-nous, si la Suisse repousse les réclamations de l’Allemagne, ce qu’encore un coup nous ne croyons pas, devons-nous répéter notre expédition d’Italie, et aller détruire la démagogie à Lausanne et à Genève, comme nous l’avons détruite à Rome, pendant que, de leur côté, les Prussiens et les Autrichiens la détruiront dans les cantons allemands et dans les cantons italiens ? Nous ne sommes pas suspects d’indulgence pour la démagogie, mais notre répugnance ne va pas jusqu’au donquichottisme, et nous ne nous croyons pas obligés d’aller partout dans l’univers pourfendre le monstre de la démagogie : c’est assez de l’exterminer chez nous. Il n’y a, d’ailleurs, aucune analogie à établir entre les causes de notre expédition en Italie et les causes qui pourraient nous appeler en Suisse. La substitution de la république à la théocratie pontificale dans les murs de Rome changeait profondément l’état du catholicisme et l’état de l’Europe. Comme intéressés à l’indépendance du chef de la chrétienté catholique, comme intéressés au maintien de l’équilibre italien, nous avions droit et raison d’intervenir à Rome. La substitution de la démagogie à la démocratie dans le canton de Vaud et dans le canton de Genève n’est pas un changement dans l’état de l’Europe. Cela peut faire de Vaud et de Genève des voisins un peu plus malveillans pour nous, cela peut nous obliger à quelques précautions c’est un changement du moins au plus, non du tout au tout. Il y a déjà bien long-temps que Vaud et Genève appartiennent à la démagogie ; nous ne sommes pas intervenus. Jusqu’ici, les réfugiés de la Suisse ne nous ont pas causé d’embarras ;