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à notre sécurité confiante, elle a ouvert devant nos regards d’autres horizons et de plus obscures profondeurs. Au principe du politique proportionnel à l’aptitude individuelle qui semblait universellement accepté par la conscience du pays, s’est trouvée substituée comme par un changement. à vue, la doctrine de la souveraineté numérique, absolue dans son droit, illimitée dans ses applications.

La France de 1848 ne se croyait pas à coup sûr arrivée à l’une de ces extrémités où l’on change tout à coup la loi de sa vie sociale, et jamais la main de Dieu n’imprima aux destinées d’un grand peuple une impulsion plus indépendante des volontés humaines. Toutefois n’oublions pas que le principe promulgué le 24 février 1848 n’est pas plus étranger à la révolution de 1789 que celui qui prévalut au 9 août 1830. Tous deux se révélèrent presque simultanément à nos pères durant la crise qui renversa l’antique société française. L’histoire de la révolution n’est autre que celle de la lutte engagée entre les classes moyennes et les classes populaires sur les débris du régime détruit par leurs communs efforts. L’idée bourgeoise et l’idée démocratique ont été les deux pôles du monde qui sortit en 89 des eaux de l’abîme. La première affectait la forme constitutionnelle sous Louis XVI aussi bien que sous Louis-Philippe ; la seconde proclamait tumultueusement la république en 1792 comme en 1848, et les hommes qui envahissaient le Palais-Bourbon pour en chasser les députés choisis par les électeurs censitaires continuaient l’œuvre de ceux qui s’insurgeaient contre le marc d’argent, qui, au 10 août, braquaient leurs canons contre la royauté constitutionnelle et mitraillaient, sous le commandement de Westermann, les sections commandées par Mandat.

Depuis l’ouverture des états-généraux jusqu’à la convocation de la législative à la fin de 1791, la bourgeoisie domina le mouvement révolutionnaire et fit prévaloir ses idées dans la rédaction des institutions constitutionnelles. La scène changea lorsque, après la dispersion de la noblesse émigrée, le peuple vint tout à coup, comme un hôte inattendu, occuper la place restée vide à la table du festin. Alors un duel acharne s’engagea entre les classes qui avaient renversé l’ancien régime et les masses qui prétendaient donner à la révolution commencée autre sens et une portée très différente. Vaincue sous la convention et décimée par la terreur, la bourgeoisie retrempa son courage dans son sang versé à flot, et, sans avoir inspiré le 9 thermidor, elle se trouva derrière Tallien pour en profiter. Seule responsable du directoire, elle eut seule aussi l’honneur du consulat ; l’empire lui maintint la prépondérance par son système d’administration et par sa législation civile, tout en associant à son œuvre gigantesque les classes agricoles qu’il enivra de la seule poésie qu’elles comprennent, celle de la victoire et de la guerre. En 1815, on vit recommencer, entre les fils du tiers-état