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et les représentans de la vieille vaincu en 89, une lutte rétrospective entretenue par d’amers ressentimens et des souffrances d’amour-propre plutôt que par une opposition naturelle d’intérêts ; enfin, la révolution de 1830 inaugura l’avènement incontesté de la bourgeoisie à la direction suprême des affaires. Le principe fondamental du vieux droit historique ayant été ce jour-là déplacé, toutes les espérances qui paraissaient puiser leurs forces dans ce principe se trouvèrent atteintes à leur source même ; elles cessèrent de se produire et l’on dût cesser de les évoquer. Ce fut désormais contre d’autres ennemis que les classes industrielles, et lettrées furent contraintes d’engager une lutte plus incertaine dans ses résultats. Au 24 février, la pierre angulaire du gouvernement de la bourgeoisie fut déplacée comme celle de la vieille société aristocratique l’avait été en 1830. En proclamant la loi du suffrage universel, la France prit le contre-pied de toutes les théories que les classes moyennes étaient parvenues à faire triompher depuis l’ouverture de la révolution.

C’est l’histoire de cette lutte, si vive encore sous nos yeux ; et qui se prolongera long-temps dans l’avenir, que je voudrais esquisser dans ses phases diverses et ses principales péripéties. Il y aurait, ce semble, un grand intérêt à suivre le conflit souvent obscur, mais toujours réel, des deux élémens qui, depuis plus d’un demi-siècle, se disputent la direction de la société nouvelle, et à juger la valeur des idées politiques qui se sont produites sous le couvert de l’un et de l’autre.

Dans ce tableau, nous rencontrerons la bourgeoisie au premier plan, car elle seule provoqua par ses efforts infatigables, à partir du milieu, du XVIIIe siècle, l’agitation qui aboutit à l’appel au pays et à la convocation des états-généraux. Quel est donc l’esprit de cette puissance à la fois si audacieuse et si timide, qui a déployé tant de ressources pour conquérir le pouvoir et si peu pour le conserver ? Qu’était la bourgeoisie française à l’ouverture de la révolution ? Quelle éducation avait-elle reçue du passé ? Quelle direction allait-elle à son tour imprimer à l’avenir ? Avant d’aller plus loin, j’ai besoin de rappeler sommairement les phases principales de son développement à travers les siècles, car jamais corporation politique ne fut autant que la bourgeoisie française en parfaite harmonie avec elle-même aux périodes décisives de son histoire.

Lorsque le flot des grandes invasions eut versé son limon réparateur sur le monde épuisé de corruption et de vieillesse, deux classes d’hommes surnagèrent seules au sein du grand naufrage. D’un côté paraissent les conquérans, demeurés, selon le droit antique de la guerre, maîtres des terres comme des personnes ; de l’autre était la foule des étrangers d’origine, de mœurs, de langage, et qui n’avaient à mettre en commun que l’étendue de leur infortune. La barrière qui