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les séparait ne demeura pas sans doute infranchissable, et, dès les premiers jours de l’établissement des Francs au sein des Gaule l’autorité du savoir, celle plus grande encore du Sacerdoce catholique ouvrit à bon nombre de Gallo-Romains l’accès aux richesses et aux premières dignités. Cependant la société n’en restait pas moins parquée en deux castes aussi profondément divisées que celles de l’Inde : la caste dominatrice, organisée en aristocratie militaire, et celle des anciens habitans, déshérités de la possession du soi, devenu le gage et le signe exclusif de la suprématie sociale. Placée durant plusieurs siècles sous une sorte d’état de siége, la nation fut soumise à des vainqueurs qui exerçaient, en vertu du droit de la guerre, les attributions rares d’ailleurs en ces temps-là, de l’administration et de la justice. On ne connaissait pas d’autres magistratures que celle de l’épée dans une société fondée sur la conquête, et la seule fonction publique était la fonction militaire. L’étendue des devoirs imposés par celle-ci résultait de la me sur selon laquelle chacun avait été admis au partage de la propriété conquise ; l’état des personnes fut donc subordonné à celui des terres, et celles-ci se trouvèrent naturellement enlacées dans le réseau qui embrassait dans ses étreintes le vaste territoire des Gaules. Pourtant quelque resserrées qu’en fussent les mailles, la lime des révolutions et la rouille des âges ne pouvaient manquer de les relâcher. À la première entreprise qui contraignit les barons à quitter leurs domaines pour s’aventurer dans de lointaines expéditions Ils durent mobiliser une partie de leur fortune territoriale ; aussi les croisades fondèrent-elles en Europe la puissance de l’argent, en même temps que le réveil des sciences et des arts préparait l’avènement d’une classe interposée entre les serfs de la glèbe et leurs rudes dominateurs. Cette classe acheta à prix débattu, lorsqu’elle ne le conquit point à coups de pique, le droit de posséder, de commercer, de délibérer et de s’armer. En face du donjon perché sur le rocher s’élevèrent les tours des cités municipales, et le puissance publique, qui ne s’était inquiétée jusqu’alors que des influences rurales et militaires, dut bientôt compter avec un élément’ nouveau.

En engageant ses fiefs aux navigateurs qui le transportaient outre mer, à l’usurier dont il réclamait l’assistance pour payer sa rançon ou pour armer ses vassaux, le baron féodal faisait plus qu’obérer son propre patrimoine : il portait une grave atteinte à l’ordre de choses sorti de la conquête, car il déplaçait la propriété territoriale, qui lui servait de base ; en transférant celle-ci en d’autres mains, il appelait des hommes nouveaux à la jouissance de tous les droits réels et personnels réputés alors inhérens à la propriété même. Les anoblissemens vinrent élargir promptement la brèche ouverte par l’aliénation des seigneuries. Les seigneurs avaient fait des bourgeois pour se procurer