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celle de 1830, et qui, en 1848, a vu poser devant elle un nouveau problème dont elle ne paraissait soupçonner ni la gravite ni l’imminence.

Le prodigieux mouvement imprime à l’esprit humain depuis les luttes de la papauté et de l’empire jusqu’au règne de Charles-Quint amena l’explosion de la réforme ; mais quoique le protestantisme ait pris naissance au sein des classes moyennes, dans les corporations riches et lettrées, quoique celles-ci lui aient fourni ses plus ardens propagateurs, il retarda les progrès politiques de la bourgeoisie, bien loin de les avancer. Dans presque toute l’Europe, l’aristocratie et la royauté se concertèrent pour confisquer la réforme à leur profit ; l’une, épuisée d’argent, en fit un moyen de servir sa cupidité ; l’autre, avide de pouvoir, en fit un instrument pour étendre sa puissance. En Angleterre, en Allemagne et dans les pauvres monarchies du Nord, la noblesse répara, au moyen d’immenses confiscations, sa fortune ébranlée par de longues guerres et des dissensions sanglantes. Les chose se passèrent autrement en France : l’ardente foi religieuse des masses et l’instinct politique des classes moyennes, promptement éveillé, empêchèrent les nouvelles doctrines de devenir un instrument aux mains de l’aristocratie. Les bourgeois ne tardèrent pas à comprendre que le protestantisme, embrassé par les grandes factions de cour, qui avaient besoin d’un point d’appui pour s’imposer au monarque, était devenu le drapeau de ses adversaires naturels ; aussi se rejetèrent-ils presque tous dans la résistance catholique. L’avocat David conçut la pensée, de la ligue, et les classes moyennes poursuivirent l’exécution de cette œuvre immense avec une persévérance audacieuse. Elles faillirent réaliser à leur profit, dès cette époque, en s’appuyant sur des motifs religieux, le changement dynastique qu’elles ont opéré en 1830, en se prévalant de motifs constitutionnels. La substitution de la populaire maison de Guise à la maison de Valois, d’une royauté nationale à une monarchie décrépite, la consécration du principe de la souveraineté du peuple dans les matières de gouvernement et la transformation d’une dynastie de gentilshommes en une dynastie municipale, telles furent les tentatives que le XVIe siècle fut très près de réaliser, telles furent les doctrines qui firent circuler dans toutes les villes et dans toutes les corporations du royaume très chrétien une fébrile exaltation de patriotisme et de foi. Si la ligue avait triomphé, un mouvement analogue à celui de 89 se serait produit en France deux siècles plus tôt, et, se greffant sur le sentiment catholique qui s’épanouissait alors dans toute sa sève, il aurait vraisemblablement donné des fruits moins amers et arrosés de moins de sang ; mais, dans la grande lutte contre la réforme, la bourgeoisie succomba après une résistance de tous points admirable. Elle ne céda point, en France, comme elle dut le faire en Angleterre et en Allemagne, à l’ascendant de l’aristocratie,