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dont les efforts dans cette grande crise ne furent pas plus heureux que les siens. Les masses demeurées catholiques, aussi bien que la noblesse devenue protestante, furent également vaincues chez nous par la royauté. L’habileté politique de Henri IV la rendit maîtresse de ce terrain si long-temps disputé. Donnant par sa situation même des gages aux uns et aux autres sans inspirer une entière confiance à personne, le Béarnais imposa aux deux partis une transaction dont il resta le garant et l’arbitre. Renonçant désormais à dicter ses conditions à la couronne, la noblesse alla mourir dans les armées du roi ou chercher à la cour les vains honneurs d’une brillante domesticité. Oubliant, de son côté, les rêves politiques qu’elle avait poursuivis durant la ligue, dans les parloirs aux marchands et les salles des hôtels-de-ville, la bourgeoisie rentra dans l’obscurité de ses comptoirs et dans ses études, ne s’occupant plus, dans le cours du siècle suivant que du soin de consolider et d’étendre sa fortune.

Aucune maison souveraine n’affecta de s’entourer plus exclusivement de noblesse que la maison de Bourbon, et nulle ne lui porta néanmoins de plus rudes coups. Jamais dynastie ne prépara d’une manière plus efficace l’avenir politique des classes sur lesquelles elle semblait faire tomber, dans ses relations habituelles, le poids de son indifférence, pour ne pas dire de son mépris. Pendant que les hommes de qualité obtenaient le désastreux privilège de se ruiner à Versailles et rachetaient par de vaines satisfactions de vanité la perte de leur influence locale, pendant qu’un ridicule préjugé écartait la noblesse des carrières industrielles, de la plupart des professions libérales et des fonctions même de la magistrature, le gouvernement royal secondait, par tout son système d’administration, les progrès des hommes nouveaux, et ceux-ci conquéraient dans les affaires une importance qui faisait ressortir de plus en plus l’humilité de leur situation dans l’état. En même temps que la royauté commettait l’irréparable faute de s’isoler de la bourgeoisie par une étiquette infranchissable, elle gouvernait de manière à tomber promptement dans sa dépendance absolue, de telle sorte que la monarchie grandissait chaque jour par ses mesures ceux qu’elle blessait au cœur par ses dédains.

L’homme d’état qui a eu peut-être au plus haut degré les préjugés du gentilhomme fut, personne ne l’ignore, le grand initiateur de la bourgeoisie. Le cardinal de Richelieu se fût écrié volontiers, comme l’organe de la noblesse aux états de 1614, que « c’était grande insolence de vouloir établir quelque sorte d’égalité entre le tiers et la noblesse qu’il y avait entre eux autant de différence comme entre le maître et le valet, » et pourtant ce ministre livrait à d’obscurs commissaires les plus hautes têtes du royaume. Il ne décapita pas seulement l’aristocratie dans ses chefs, il l’attaqua avec acharnement et