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corps à corps dans son organisation même. La création des intendances fut pour la noblesse un plus rude coup que l’exécution du duc de Montmorency et, si la prescience avait chez Richelieu égalé l’instinct du pouvoir, il aurait pu déterminer avec une certitude presque mathématique l’instant où ses mesures administratives auraient amené la révolution politique la plus contraire à sa nature et à son génie. En assurant par la puissance de sa volonté et la persévérance de ses efforts l’établissement d’une marine, en créant de grandes compagnies industrielles sous le patronage de l’état, en fondant des colonies en étendant et en consolidant la dette publique, Richelieu assurait au négoce et à la finance une prépondérance manifeste sur la noblesse territoriale, qui n’avait plus à courir d’autre carrière que celle des armes, et que ses mœurs élégantes préparaient à la dissipation, comme ses devoirs militaires à la ruine. Il semble d’ailleurs que cet homme prît plaisir à évoquer lui-même toutes les puissances et toutes les forces appelées à faire bientôt contre son œuvre une explosion terrible. Pendant qu’il imposé silence au parlemens, il constituait les gens de lettres en corporation délibérante. Non content de faire jouer ses drames, le patron de Laubardemont se faisait journaliste et fondait la Gazette de France. L’impitoyable ministre qui condamnait à l’indigence la mère de son roi comblait de largesses les écrivains les plus obscurs, et l’homme qui ne permettait pas aux grands du royaume de s’asseoir en sa présence voulait qu’un poète se tînt devant lui assis et couvert.

Colbert continua l’œuvre de Richelieu avec une prévoyance de l’avenir qui aurait fait reculer le ministre de Louis XIII, si celui-ci l’avait possédée. L’homme qui couvrit la France d’innombrables manufactures, le fondateur de l’Académie des sciences, le créateur de l’inscription maritime, l’organisateur des tarifs de protection pour notre navigation et notre industrie, ne se dissimulait pas les conséquences politiques qu’entraîneraient à leur suite les fécondes innovations qu’il suggérait au jeune monarque dont il possédait la confiance. Au sein des pompes de Versailles, où la grandeur de ses fonctions ne le protégeait pas toujours contre de frivoles dédains, le fils du marchand de Reims semblait déjà, de son austère et profond regard, mesurer le prochain avenir qui ferait à la fois sa gloire et sa vengeance. L’ancien intendant de Mazarin savait que la nation ne supporterait plus long-temps le joug de ces fières beautés dont il était condamné à subir les dispendieux caprices ; il ne prenait guère au sérieux ces brillans seigneurs qui avaient abandonné leurs manoirs pour vivre des bienfaits du roi, et dont les prérogatives ardemment disputées consistaient à donner chemise au monarque et à lui présenter le bougeoir.

L’éclat que répandait alors la royauté, dans la plénitude de sa force et de sa gloire, parvint à masquer, durant le cours de ce long règne, le