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prendre des garanties contre Louis- XIV vaincu, et Philippe V le lançait à tout hasard dans une déclaration contre le régent sans soupçonner le sens qu’il prendrait un jour.

Vers la fin du règne de Louis XV, l’agitation parlementaire prend quelque chose de violent et de convulsif. C’est une lutte quotidienne organisée sur tous les points du royaume entre la couronne et les magistrats ; ce ne sont, du côté de la cour, que lits de justice, jussions menaçantes et ordres d’exil ; ce ne sont, du côté des compagnies judiciaires, que refus constans, paroles amères et prétentions exorbitantes. La guerre devient plus vive encore sous Louis XVI, qui, après avoir commencé par rappeler les parlemens, se trouve, après dix ans de règne, dans la nécessité de leur imposer l’enregistrement des édits même les plus utiles.

Il est facile de s’assurer, dans le cours des années qui précèdent immédiatement 89, que l’opposition parlementaire est stimulée par un principe nouveau beaucoup plus énergique que celui qui l’avait inspirée jusqu’alors. C’est que le peuple commence à descendre dans l’arène et à se masser derrière la bourgeoisie, qui seule avait exposé ses griefs et ses prétentions par l’organe des magistrats, par les traités des philosophes et les écrits des économistes. Déjà les clameurs de la place publique se mêlent aux débats des académies ; la classe moyenne, engagée dans une lutte que les résistances de la cour rendent incertaine, accepte en pleine sécurité un concours dont elle ne soupçonne pas encore le véritable caractère, et dont elle croit d’ailleurs rester la maîtresse de régler les limites et les conditions.

À la fin du XVIIIe siècle, le peuple n’apportait, il est vrai, dans les débats politiques aucune des théories qu’on produit en son nom de nos jours : on n’avait pas encore érigé à l’état de croyances des systèmes destinés à justifier toutes ses cupidités et à consacrer toutes ses passions ; mais, si les lois fondamentales de l’humanité n’étaient pas encore mises en question, les masses souffraient cruellement dans leur existence matérielle, qu’une série d’années calamiteuses avait rendue précaire et difficile. Le prix élevé des céréales, les impôts qu’une administration ignorante faisait peser sur les denrées de première nécessité, au risque de tarir la consommation à sa source, les entraves imposées aux travailleurs par les privilèges des maîtrises, faisaient couver au sein des populations de sourdes, mais implacables colères. Ces griefs étaient d’une tout autre nature que ceux de la bourgeoisie, et l’on pouvait prévoir, ce semble, que s’ils se produisaient jamais en même temps le cri des uns finirait bientôt par étouffer la voix des autres.

Quoi qu’il en soit, ces deux mouvemens se développèrent avec une simultanéité qui fut la cause première de nos malheurs. Ils reçurent des circonstances un mot d’ordre commun. La bourgeoisie mécontente