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de la société arrivait au pouvoir politique par un progrès naturel et par un droit aussi incontestable que celui qui avait assuré son affranchissement civil à la fin du XIIIe siècle. Comme toutes les puissances dont le jour est venu, le tiers fut, au début de la crise, confiant dans sa force et modéré dans ses exigences. Son droit d’ailleurs était si manifeste, qu’avant l’ouverture des funestes débats suscités par la vérification des pouvoirs, débats qu’il aurait été facile d’éviter, ce droit n’était même contesté par la noblesse dans aucune de ses principales applications. Il importe beaucoup, en effet, et à la vérité historique, et à l’honneur de la nation, de constater que les réclamations du tiers-état, dans ce qu’elles avaient de fondamental, ne rencontrèrent aucun repoussement systématique au sein des deux ordres privilégiés.

Pour le nier, il faudrait n’envisager que les violences de la lutte, sans remonter aux dispositions antérieures à cette lutte même et aux circonstances qui la provoquèrent si soudainement. Lorsqu’on dépouille dans un esprit d’impartialité les cahiers dressés dans les bailliages aux premiers mois de 1789 pour servir d’instructions aux députés des trois ordres, on demeure frappé de leur magnifique accord sur les questions principales. Le clergé s’entend sur presque tous les points avec le tiers-état ; la noblesse avoue la plupart des grands principes contre lesquels ne protestent timidement, et à mots couverts, que quelques rares députations des provinces. On peut dire, par exemple, que les articles suivans, inscrits aux cahiers des trois ordres, n’étaient l’objet d’aucune contestation.

Dans l’ordre politique, la noblesse et le clergé admettaient aussi nettement que le tiers-état la reconnaissance de ce dogme vieux comme la monarchie, que la souveraineté, originairement émanée de la nation et déléguée par elle, ne pouvait s’exercer dans sa plénitude que par l’accord de la représentation nationale avec le chef héréditaire de l’état. Les trois ordres proclamaient à l’envi l’urgence de constituer la nation d’après des bases permanentes déterminées par l’assemblée des états-généraux, et personne ne contestait à ceux-ci le droit exclusif de contrôler les dépenses et de voter l’impôt. On proclamait avec une entière sincérité la résolution de renoncer à toutes les immunités et privilèges, tant financiers que personnels, qui imprimaient aux terres la qualité des personnes et qui faisaient de la noblesse comme un état dans l’état. La convenance de ce sacrifice est exposée dans tous les cahiers du clergé aussi formellement que dans ceux du tiers ; elle n’est contestée dans aucun des mandats de la noblesse, et le seul débat que pût susciter la rédaction d’un certain nombre de ceux-ci roulait sur la question de savoir si l’on reconnaîtrait à la noblesse le droit de faire spontanément, comme ordre, le sacrifice de ses privilèges pécuniaires, ou si l’on entendait le lui imposer en vertu d’un droit étranger et supérieur