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de patois américain, et langage anglais provincialisé, de jargon de nègre, de pécheur et de marin. Ce ne sont pas des peintures de mœurs à proprement parler ; il n’y a aucun tableau complet : ce sont des traits épars, des anecdotes décousues, mais indiquant mieux en réalité les mœurs d’une nation que les descriptions étudiées de certains voyageurs, ou les créations abstraites de la plupart des romanciers. La confusion de ses récits est amusante, la trivialité en est instructive. Nous avons essayé de nous rendre compte du caractère particulier de l’observation d’Halliburton, et cette analyse nous a dévoilé immédiatement tout un côté du travail qui ; à l’heure qu’il est, s’accomplit : dans l’humanité, tant il est vrai que tout chemin, tout sentier conduit au même but, au même point que les grandes routes les mieux battues, les plus poudreuses et les plus fréquentées. Ce modeste peintre de mœurs est un philosophe aussi, d’autant plus philosophe qu’il ne fait pas de théories, qu’il n’a pas de systèmes ; mais il est le miroir le plus fidèle de toute une portion de l’humanité et pourrait dire mieux que M. Clay lui-même vers quelles destinées marche l’Amérique.

Si avez jamais cherché à comprendre les divers dialectes de cette immense Babel qui s’appelle l’humanité au XIXe siècle (et par dialectes nous n’entendons pas ici les langues humaines, mais bien les sottises articulées qu’elles enveloppent et revêtent), vous avez peut-être remarqué combien, dans ce siècle de lumières, nous étions peu véritablement observateurs. Le caractère de l’observation a tout au moins singulièrement changé. Nous ne savons plus voir clair à côté de nous, nos voisins sont pour nous comme s’ils n’étaient pas, nos amis et nos ennemis sont pour nous des anges et des démons ; le moindre défaut ou la moindre bonne qualité découverte chez l’un ou chez l’autre gênerait singulièrement nos illusions ; les hommes sont pour nous tout d’une pièce ; ils n’ont pas de nuances dans le caractère et d’accens différens dans la passion ; la variété nous étonne et nous effraie ; ce qui nous charme, c’est l’uniformité. : Il n’y a rien dans la littérature qui marque mieux l’état des esprits que cette décadence de l’observation. De notre temps, l’observateur ou celui qui se dit tel exerce un véritable métier. Il s’efforce d’observer, il cherche matière à observation, il va dans les lieux où il espère rencontrer des spectacles excentriques et des variétés d’hommes qu’il ne pourrait rencontrer ailleurs ; il guette, il espionne, il écoute aux portes, il est friand de scandales et lit la Gazette des Tribunaux. Il y a, dans un observateur moderne, du statisticien, du criminaliste, du chirurgien ; du procureur, du naturaliste ; il dresse des tables de caractères, des catégories de vices, dissèque profondément de certains crimes, constate avec la plus extrême minutie les développemens de certaines monstruosités. Bref, l’observation