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de notre temps n’est plus humaine ; elle devient sociale. Ce n’est pas l’homme que nous étudions, ce sont bien plutôt certaines excroissances de la civilisation.

L’observation est aujourd’hui une étude véritable. Nous ne connaissons plus les hommes par une longue intimité, mais nous les prenons pour sujet d’analyse. Jadis on n’observait pas ainsi. Ce n’était pas un travail, un effort ; on n’était pas aux aguets, on ne courait pas les aventures morales ; on ouvrait les oreilles et l’on entendait, on ouvrait les yeux et on regardait. Là se bornaient toutes les finesses et toutes les ruses des hommes d’autrefois ; ils profitaient des leçons que leur donnaient leurs semblables par le spectacle de leurs vices et de leurs vertus, ils savaient que telle passion est condamnable et telle autre avouable, ils connaissaient les conséquences que les passions entraînent après elles et les influences qu’elles répandent sur la vie : tout se bornait là. De nos jours, nous savons peut-être beaucoup mieux analyser les passions mais à coup sûr nous savons beaucoup moins leur essence, leurs qualités fondamentales. Toute notre science psychologique ne nous rend pas meilleurs, toute notre connaissance de certaines classes d’hommes ne nous fait pas mieux connaître les hommes en général, toute notre curiosité du mal ne nous empêche pas d’y tomber, et, en fin de compte, malgré toutes nos études, nous n’en sommes ni moins trompés ni moins bernés pour avoir étudié l’homme scientifiquement plutôt que par la longue éducation de la vie.

C’est ce caractère de l’observation moderne qu’on retrouve chez Halliburton. Le romancier anglo-américain n’a pas toutefois, comme les voyageurs et les touristes, comme les analystes et les romanciers contemporains, de système sur l’humanité ; il n’appartient pas à un parti politique, il ne juge pas les peuples au point de vue whig ou au point de vue tory ; il n’a pas de parti pris dogmatique, d’idées préconçues ; il n’est pas démocrate comme miss Martineau, ni radical comme Charles Dickens, ni aristocrate comme l’auteur d’Hochelaga, ni grossièrement patriote comme Fenimore Cooper dans son Voyage en Europe. Peu lui importent les partis, peu lui importent les passions et les hommes ; Partout où il y a matière à observation, il s’informe, dessine et décrit. Si vous êtes fatigué des énormes systèmes sur l’avenir du monde, si en même temps vous êtes curieux d’observer les tressaillemens des nations et de surveiller minute par minute leurs tendances et leurs désirs, ouvrez Halliburton. Il n’est pas pédant, ce qui, de notre temps, est un incontestable avantage ; il vous donnera peu, de détails sur le commerce américain, sur la marine anglaise, sur la situation politique du nouveau continent ; il ne vous ennuiera pas de lamentations ou de folles illusions, mais il vous montrera les hommes, ce qu’ils disent et ce qu’ils pensent. Vous serez mieux renseigné avec lui sur les jurons