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et plus d’une fois il reproche à l’Angleterre de les abandonner et de trop dédaigner les hommes qui parlent l’idiome anglais aux extrémités du nouveau continent. Il a composé, dans cet esprit modéré de critique politique, une curieuse lettre à lord John Russel, lettre qui forme la préface du livre intitulé la Vie sur le bateau à vapeur. Il décrit, avec une complaisance souvent ennuyeuse pour nous, habitans d’un contienent bien différent, les plus petits détails de la vie privée et de la vie sociale de ces lointains pays. Son dernier livre, par exemple, est le tableau minutieux des mœurs de la Nouvelle-Ecosse et des colonies environnantes.

Le style et la manière d’Halliburton sont un style anglais, une manière anglaise de seconde main, non pas une manière, un style anglais à la façon des Américains de l’Union. Les purs américains imitent autant qu’ils peuvent imiter. Washington Irving et Cooper ne font guère autre chose, ils cherchent à retourner vers la source abandonnée. Halliburton sort de cette source elle-même ; il est comme un ruisseau qui, sorti d’un grand fleuve, s’en va à travers la campagne arroser quelque coin ignoré. Le ruisseau n’a pas l’aspect du fleuve, il s’harmonise avec les lieux agrestes qu’il parcourt ; cependant ses eaux sortent du fleuve, elles en ont les qualités essentielles et la couleur. Ainsi Halliburton a toutes les qualités anglaises, la fermeté, la force, et aussi tous les défauts anglais, la minutie et la prolixité ; mais il a surtout la qualité fondamentale du génie britannique, l’humour, et cette puissance d’expresion et de trait, qui grave aussi solidement que sur l’acier les impression que la réalité fait sur l’esprit et sur l’imagination. Il a aussi le don que nous appellerons, faute d’un autre mot, le don de différencier ses personnages et de comprendre les différences essentielles des caractères et des passions. Enfin, dernière et suprême qualité, il a le don de l’indifférence : peu lui importante ses personnages, il n’a pour eux aucune préférence ; il les met en scène, mais ne s’intéresse à eux qu’afin de les rendre plus ressemblans, il ne s’identifie pas avec eux. C’est, en un mot, un curieux, une sorte de touriste sédentaire ; il étudie les peuples qu’il dépeint sans vivre de la même vie qu’eux, il les étudie comme un naturaliste son herbier.

Halliburton est encore un des écrivains anglais modernes qui excellent le mieux à faire la caricature, la charge d’un personnage ; il la fait aussi bien peut-être que Dickens, et mieux à notre avis que Thackeray. Thackeray, talent fin et délicat, dessine trop littérairement ses caricatures. Dickens met sur ses pieds, comme on dit vulgairement, un statisticien, un industriel, un avare, d’une façon très remarquable ; mais toujours, malheureusement, il y a chez lui une arrière-pensée philosophique. Halliburton comprend la caricature telle qu’elle doit être comprise, soit dans l’art du dessin, soit en littérature. Il n’y voit