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et fixe. La morale que M. Cousin enseignait, et qu’il formulait avec une rare netteté de vues et une remarquable rigueur de déductions, était une double protestation : protestation énergique contre le système de l’égoïsme né de la philosophie de la sensation ; protestation plus douce, ferme toutefois, contre la sympathie de Smith et la doctrine sentimentale de Jean-Jacques, principe noble et séduisant, mais variable et plein de contradictions, pouvant tout aussi bien, réduit à lui seul, mener à la folie qu’à l’héroïsme. Aux combinaisons vulgaires et compliquées tout à la fois du calcul, aux entraînemens du sentiment, l’auteur des leçons de philosophie substituait une règle fixe, et, ne l’oublions pas surtout, obligatoire, absolue. Or, le sentiment non plus que l’égoïsme n’a rien d’obligatoire, et à qui demander l’absolu, si ce n’est à la seule faculté qui le donne, à la raison ? De là le rôle subordonné du sentiment, subordonné, dis-je, mais non absent.

Le psychologue a tracé de main de maître l’analyse de cette intime et merveilleuse faculté sous les formes si habituelles et si vives de la satisfaction morale, du remords, de la pitié, de l’estime, sous les formes élevées de l’amour du vrai ou de la science, du bien ou de la vertu, du beau ou de l’art, du saint ou de la religion. Comment l’oublierait-il dans sa théorie de la société ? L’auteur de Justice et Charité, en reconnaissant les difficultés et les périls de la charité, veut que le gouvernement de la société « ait un cœur comme l’individu, de la générosité, de la bonté ; que, dans une certaine mesure, il veille au bien-être des citoyens, développe leur intelligence, fortifie leur moralité. — La justice, si on s’y renferme exclusivement, dégénère, dit-il, en une sécheresse insupportable. » Cette certaine mesure, il appartient aux sciences économiques et à la politique de la déterminer. C’est à elles de voir pour quelle part l’état, l’association, les individus, doivent concourir : problème périlleux qui se pose avec une impérieuse exigence aux esprits incertains, et qu’une génération n’épuisera pas !

Si l’on veut savoir ce qui nous séduit à la théorie morale dont nous achevons ici l’exposition, nous le dirons d’un seul mot : c’est qu’elle n’a pas l’air d’une théorie. Que si l’on nous présentait un système compliqué, érudit, palingénésiaque, oh ! nous aurions plus de défiance. Ici, pour fondement de la politique, pour clause indispensable de toutes les réformes, pour préliminaire de toutes les améliorations conçues ou rêvées, M. Cousin nous offre quoi ? la pratique de la justice et du devoir ! Seraient-ce là aussi des utopies ? Par la plus féconde des transformations, l’idéal de l’individu devient celui du genre humain. « De toutes parts, dit M. Cousin, on se demande où va l’humanité. Tâchons plutôt de reconnaître le but sacré qu’elle doit poursuivre. Ce qui sera peut nous être obscur ; grace à Dieu, ce que nous devons faire ne l’est point. Il est des principes qui subsistent et suffisent à nous guider parmi