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toutes les épreuves de la vie et dans la perpétuelle mobilité des affaires humaines. Ces principes sont à la fois très simples et d’une immense portée. Le plus pauvre d’esprit, s’il a en lui un cœur humain, peut les comprendre et les pratiquer, et ils contiennent toutes les obligations que peuvent rencontrer, dans leur développement le plus élevé, les individus et les états. » Ces paroles, qui vont jusqu’au fond même des cœurs et qui regardent avant tout le concours individuel comme nécessaire pour régénérer les sociétés, ne contiennent-elles pas plus de sens, je le demande, dans leur forte simplicité que les savantes combinaisons d’un mécanisme social auquel manquerait ce souffle sans le quel tout languit ou s’épuise en déchiremens et en convulsions stériles pour décliner rapidement, — le souffle moral ?


III

Il s’en fallait bien que ces doctrines, réactionnaires aux yeux des gens qui, en dehors de la morale, ont eu le bonheur de découvrir une politique capable de rendre l’individu bon et heureux sans qu’il s’en mêle, au besoin même malgré lui, parussent seulement innocentes sous la restauration. Ces mots de liberté, de raison, de droit, qui retentissaient si haut dans l’enseignement philosophique du jeune professeur, semblèrent autant de protestations séditieuses et d’allusions blessantes. S’épanchait-il, comme on l’a dit, à la fin de ses leçons, devant quelques disciples, en termes un peu trop ardens ? Je ne sais. La restauration, en 1820, inaugurait ou plutôt poussait avec vigueur la politique qui devait, dix ans plus tard, la mener à l’abîme. Le second ministère Richelieu préparait la place à M. de Villèle. Le parti ultra ordonna à ce pouvoir indécis de persécuter et de frapper. Passif instrument de la majorité, le ministère persécuta et frappa. M. Guizot (tristes vicissitudes !), M. Tissot, M. Cousin, se virent destitués comme factieux. M. Cousin ne garda pas même sa conférence de l’École normale : il n’en fut pas exclus, mais, pour plus de précaution, l’École normale elle-même fut, peu après, supprimée, et M. Cousin licencié avec elle.

Durant ces temps de troubles et de soucis politiques, M. Cousin s’enferma plus que jamais dans la solitude de la pensée pure. C’est le moment de sa vie le plus fécond peut-être en publications et en travaux érudits. Chef d’école bien plus qu’homme de parti, il avait la passion des idées et médiocrement de goût pour ces controverses au jour le jour de la politique, qui ne sont guère moins stériles pour les acteurs que pour les témoins. Étudier les mouvemens de la pensée humaine à travers l’histoire mène nécessairement un esprit contemplatif, qui n’est point indifférent et égoïste, à s’intéresser aux événemens de son