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dans la chambre des communes ; mais là elle était facile à prévoir. Toutes Les fois que l’abolition des lois sur les céréales est mise en question, tous les radicaux sans exception et tous les anciens amis de sir Robert Peel sont contraints de voter avec les whigs ; la réunion de ces trois fractions forme une majorité de 80 à 100 voix. Cependant le chiffre de la majorité ministérielle a été un peu plus considérable, et, contre toute attente, les protectionnistes, qui comptaient réunir 230 et même 250 voix, n’en ont réuni que 192. Ce résultat, qui a surpris tout le monde, s’est expliqué quand les journaux ont publié les listes du vote. Un certain nombre de protectionnistes se sont abstenus, et quelques-uns, douze ou quinze, ont voté avec le ministère. Là-dessus grande douleur et grande irritation des journaux tories, qui ont accusé les habitudes corruptrices des whigs et la cupidité des gens qui ont des fils ou des parens à pourvoir.

Là n’est pas le secret de ces votes ou de ses abstentions également inattendues ; il est dans l’alliance annoncée du ministère avec les radicaux et dans le projet de réforme électorale si bruyamment acclamé par la presse ministérielle. Un certain nombre de tories ont craint que, si le chiffre de la minorité était assez considérable pour justifier les sérieuses inquiétudes conçus par le ministère, celui-ci ne fît usage de la majorité actuelle pour introduire une réforme radicale dans la loi des élections, et pour exécuter ainsi les menaces proférées chaque matin par ses journaux. Ils espéraient au contraire qu’en retrouvant la sécurité des dernières années, lord John Russell retrouverait aussi ses répugnances pour de nouveaux changemens dans la loi fondamentale. Ils ont donc voté pour le ministère, ou se sont abstenus de voter contre lui. Trois jours après la discussion de l’adresse, le gouvernement a présenté un bill pour modifier la loi électorale en Irlande ; M. Hume a demandé au nom des radicaux si c’était là l’explication de la phrase ambiguë du discours de la reine, et si le gouvernement comptait s’en tenir à cette mesure. Lord John Russell a répondu affirmativement et a déclaré que cette année le ministère ne voulait pas aller plus loin.

Les radicaux, à leur tour, ont fait éclater leur mécontentement et ont crié à la tricherie. Le Daily-News, dont les relations avec les radicaux ont été avouées par M. Bright lui-même, qui, dans deux ou trois meetings, a fait de véritables réclames en faveur de ce journal, a formellement accusé le ministère d’avoir joué un double jeu ; de s’être servi de la réforme électorale comme d’un épouvantail pour intimider les plus peureux des tories, et comme d’une amorce pour gagner les voix des radicaux, et de se moquer des uns et des autres aujourd’hui que le tour est joué. M. Hume, dans le débat relatif à l’île de Ceylan et dans une discussion toute personnelle qui s’est engagée entre lord John Russell et un député radical, n’a point épargné les amertumes au ministère. Cependant, quelque ressentiment que les radicaux éprouvent de la déception dont ils se disent les victimes, ils ne songent point encore à retirer leur appui au gouvernement. Ainsi tories et radicaux étaient d’accord, il y a quelques jours, pour accuser le ministre des colonies, le comte Grey, d’avoir fait avorter l’enquête ordonnée, la session dernière, sur la conduite de son parent lord Torrington, gouverneur de Ceylan ; M. Disraëli s’est empressé de rédiger un amendement qui englobait dans le même blâme le ministère tout entier. M Bright en a fait aussitôt la remarque et a déclaré ne pouvoir s’associer à la motion de M. Disraëli, qui a été repoussée. M. Hume a présenté alors un amendement qui n’attaquait que le comte Grey et mettait les autres ministres hors de cause.