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tête, et je ne doute pas qu’elle n’ait fort politique en Angleterre. Peut-être, telle que vous la voyez, a-t-elle commercé directement avec Pitt.

— Je plains Pitt, dit Francis.

— Soit ; mais, parmi les idées qui auraient pu éclore sous ce crâne de chanoinesse, que diriez-vous de celle-ci, je suppose ? En attirant dans un guet-apens l’escorte du commandant Hervé, et en épargnant toutefois ledit commandant, on ferait peser sur lui un soupçon de complicité qui le compromettrait sans ressource aux yeux de la république, et de la sorte il se trouverait rejeté bon gré mal gré dans la sainte cause royaliste. Hein ?

— Hum ! dit Francis, voilà qui est spécieux ; mais, pour avoir Une pareille pensée, il faudrait qu’ils ne connussent pas le commandant Hervé.

— La passion pourrait les aveugler au point de me faire cette injure. Au reste, ce sont là de folles idées ; je voulais vous rappeler seulement qu’après tout nous sommes en pays ennemi, et qu’il est convenable d’avoir les yeux ouverts.

— Soyez tranquille, commandant, je veillerai sur le guide, sur la reine-mère et même sur…

— Ma charmante sœur ? demanda doucement Hervé.

— Non, monsieur de Pelven, non ; — j’aimerais autant soupçonner la statue même de l’innocence ; je voulais parler de cette belle fleur sauvage, de la allé du garde-chasse.

Andrée, en se rapprochant de son frère, mit fin à l’entretien des deux jeunes gens. On était au milieu de la journée : la caravane suivait les courbes d’un sentier des deux côtés duquel s’étendait à perte de vue une plaine d’un aspect désolé : des touffes de grands genêts de la hauteur d’un homme prêtaient seules, par intervalle, une apparence de culture à ce désert breton ; çà et là sortaient du sol dépouille des arêtes de granit recouvertes de noirs lichens. Cinq ou six chaumières étaient perdues au centre du plateau ; mais ces enseignes de la présence des hommes n’avaient rien de rassurant pour l’œil du voyageur : elles portaient un caractère misérable et sombre qui était fait pour ajouter un sentiment d’alarme aux ennuis de la solitude.

La caravane fit une halte d’une demi-heure dans cette triste oasis. Devant la porte de la cabane qui était la plus voisine du chemin était assis sur un escabeau un jeune homme déguenillé, à l’œil hagard et aux traits flétris : il exposait alternativement chacune de ses mains aux rayons du soleil avec une mine de satisfaction stupide. À C’est mon pauvre gars que le bon Dieu a frappé, » dit une vieille femme qui était sortie de la cabane en voyant Hervé s’approcher d’un air d’intérêt. Hervé mit une pièce d’argent dans la main de la malheureuse mère et s’éloigna de cet affligeant spectacle ; mais, s’étant brusquement retourné