Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/793

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
787
BELLAH.

quelques minutes après, il fut surpris de voir le pauvre gars engagé dans une conversation animée avec le garde-chasse : il étendait les bras vers le nord, et lui parlait avec une extrême volubilité. S’apercevant que les regards de Hervé étaient fixés sur lui, il retomba soudain dans son attitude hébétée. — Quelle pitié ! n’est-ce pas, monsieur ? dit Kado en passant à côté du jeune commandant. Celui-ci ne répondit rien ; mais, se défiant d’un idiot si intelligent, il veilla à ce qu’il ne pût renouer ses relations avec le guide.

On ne tarda pas à se remettre en marche, et les heures s’écoulèrent sans qu’aucun incident nouveau vint confirmer les soupçons de Pelven. Le soleil touchait à son déclin ; Francis, éprouvant le charme particulier à cet instant du jour, se livrait avec une gaieté expansive à la facile poésie de son âge. Il composait à haute voix, chemin faisant, une sorte de ballade en style de chevalerie où chacun des personnages de l’expédition avait son rôle. Hervé ne pouvait s’empêcher de sourire à l’improvisation épique de son jeune ami, et au caractère à la fois héroïque et burlesque qu’elle lui prêtait.

S’arrêtant tout à coup au nom de la fille des Mac Gregor, ainsi qu’il appelait la femme de chambre écossaise : — Savez-vous, dit Francis, qu’elle me paraît la femme de chambre la plus discrète et l’Écossaise la plus voilée qu’on puisse voir ? J’ai le regret de vous dire, commandant, que je ne lui ai trouvé aucun air de ressemblance avec la caricature rousse que vous m’aviez donnée pour son portrait.

— Je vous ai dit, Francis, que je ne l’avais jamais vue, et j’ajoute que, si elle continue de voyager avec la même chasteté, je ne la verrai jamais.

— J’ai été plus heureux, dit Francis. Une trahison du vent m’a laissé entrevoir un ovale gracieux et une double batterie de perles de la plus belle eau. Quant à la cambrure de la taille et à la finesse des mains, vous pouvez en juger comme moi.

— Il me semble, sire chevalier, dit en riant Hervé, que ceci regarde nos écuyers.

À quelques pas de là, comme pour justifier les paroles de son commandant, le sergent Bruidoux, qui pouvait passer pour l’écuyer principal de l’aventure, charmait les ennuis de la marche en traitant à fond la question effleurée par ses supérieurs. — Il y a, disait Bruidoux, qui aimait à pérorer vaille que vaille sur toutes les matières, il y a des femmes de toutes sortes. Il y en a qui attirent le regard par leur embonpoint, et il y en a qui sont faites comme des sabres de cavalerie. Les unes sont brunes et les autres sont blondes. Il y en a qui ont de la pudeur et d’autres qui n’en ont pas, et je dois te dire, pour ton instruction, Colibri, que celles qui en ont le plus sont, la plupart du temps, celles qui en ont le moins.