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BELLAH.

bien que sa voix parût adoucie par une nuance de tristesse : — Je priais, mon maître, pour ceux qui ont oublié leurs prières en apprenant à menacer ceux du pays qui les ont bercés tout petits sur leurs genoux.

Cet appel fait à de chers souvenirs par une voix autrefois amie amollit soudain jusqu’à l’attendrissement la fierté du jeune homme. Par un singulier caprice de son ame, il se trouva plus sensible à la réprobation naïve de ce paysan, dont il connaissait la rude probité d’intelligence, qu’à l’anathème tombé des lèvres de Bellah. Il ne put même résister au désir de combattre les préventions au nom desquelles cet homme simple l’avait condamné.

— Vous avez raison, mon pauvre Kado, reprit-il, c’est un temps malheureux que celui qui rend ennemis les enfans de la même terre et de la même maison ; mais à qui la faute ? Vous qui avez l’ame droite et qui me connaissez, pouvez-vous croire que j’aie renoncé à toutes mes affections sans être entraîné par quelque devoir nouveau dont Dieu me faisait une loi ?

— Il n’y a pas de devoirs nouveaux, dit Kado d’un ton sentencieux : ce qui était juste pour mon père est juste pour moi. La vérité ne change pas.

— Et pourtant, reprit Hervé, je vous ai entendu conter à vous-même que dans un temps bien éloigné de nous les gens du pays priaient devant des pierres comme des païens.

— Oui, mon maître.

— Eh bien ! c’était la vérité pour eux ; puis, quand la religion de la croix fut connue, les premiers qui renoncèrent aux faux dieux pour suivre la loi nouvelle furent appelés infidèles et traîtres. On leur donna ces noms que vous me donnez, et on leur dit ce que vous me dites : que la vérité ne change pas. Elle avait changé cependant.

— C’est que la loi de l’Évangile était bonne, dit le Breton en hochant la tête : celle-là n’ordonnait pas aux hommes de dépouiller et de tuer leurs frères.

— Elle leur ordonnait, répliqua Hervé avec force, de se traiter les uns les autres comme des enfans du même sang, des créatures de la même argile, et c’est parce qu’il y a des hommes orgueilleux qui ont oublié cette loi, qui se sont crus d’une nature supérieure à celle de leurs frères, et qui les ont méprisés et opprimés, c’est pour cela que la cause de la vérité et de la justice est avec ceux qui combattent ces hommes.

— Si je vous entends bien, mon maître, dit le garde-chasse, qui avait prêté une attention extraordinaire aux paroles du jeune officier, ces hommes sont ceux que nous appelons les seigneurs, les gentilshommes ; mais tous vos pères, à vous, ont été seigneurs. Vous dites donc que vos pères étaient criminels ?