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BELLAH.

— Mon enfant, dit Hervé à sa sœur, saisissant un moment où la chanoinesse ne pouvait l’entendre, sentez-vous encore dans votre cœur un peu d’intérêt pour moi ?

— Un peu d’intérêt ! Hervé, mon Dieu ! est-ce d’intérêt qu’il s’agit entre deux orphelins comme nous ? Dites de l’affection, — la plus vive, la plus tendre affection.

— Je vous remercie, ma chère Andrée ; vous effacez une triste idée de mon esprit.

— Quelle idée ?

— L’idée que ma sœur pouvait être complice de quelque entreprise contre mon honneur d’homme et de soldat.

— Votre honneur, Hervé ? c’est un mot sur lequel j’ai peur que nous ne nous entendions pas.

— Je vais donc vous l’expliquer comme je l’entends, moi, reprit sévèrement Hervé. Mon honneur consiste à servir jusqu’à la mort les couleurs que voici, et je dois vous dire, Andrée, que tout projet qui aurait pour but de me faire manquer à ce devoir tournerait à la confusion, au regret et au deuil de ceux qui l’auraient conçu.

— Au nom du ciel ! mon frère, dit Andrée en regardant Hervé de cet air étonné et candide qui, dans l’œil de la plus jeune femme, est souvent une tricherie, quel soupçon avez-vous donc contre moi ?

— Contre vous en particulier, aucun ; mais la scène qui vient de s » passer n’a pas été, j’en ai peur, aussi inexplicable pour toutes ces dame » que pour vous ; je crains qu’elle ne soit le prélude de jongleries moins innocentes, et c’est pourquoi je vous dis, afin que vous le répétiez, que je suis incapable de préférer jamais la vie à l’honneur de mourir avec mes soldats.

En entendant ces paroles qui lui révélaient la nature des appréhensions de Hervé, la jeune fille laissa échapper, comme malgré elle, un profond soupir : — Dieu merci ! s’écria-t-elle avec empressement, j’ai la certitude que vous et les vôtres ne courez pas plus de risques que nous-mêmes dans ce voyage. — Et, approchant ses lèvres de la joue de son frère : — Vous savez bien d’ailleurs, poursuivit-elle sur un ton de mystère, que nous sommes au moins deux ici qui ne faisons pas bon marché de votre vie, commandant.

Laissant cette goutte d’opium dans l’oreille du jeune homme soupçonneux, M’e de Pelven s’élança, en sautillant de degré en degré comme un oiseau, dans le vestibule du manoir abandonné.

L’édifice vaste et irrégulier que les gens du pays appelaient le château de la Groac’h portait l’empreinte des différons âges qu’il avait traversés depuis sa fondation. La masse principale des ruines, le haut donjon encore debout et les restes d’une enceinte crénelée gardaient