Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/806

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
800
REVUE DES DEUX MONDES.

l’imposant caractère d’une forteresse du xue siècle. Des constructions plus basses présentaient, dans la disposition particulière de leurs assises, les indices d’une époque d’architecture encore plus reculée, tandis que le bâtiment à pignon qui formait l’aile opposée au donjon semblait remonter à peine aux derniers temps des Valois. Cette partie de l’édifice était encore garnie de ses fenêtres et de ses balcons à feuillages de fer.

Ce fut dans ce pavillon que M, le de Pelven rejoignit Bellah et la chanoinesse. Elles parcoururent, guidées par le garde-chasse, les pièces délabrées qui composaient le premier étage. On fit à la hâte des préparatifs pour la nuit dans les deux chambres qui paraissaient offrir l’abri le plus sûr ; puis Kado servit aux femmes quelques provisions dont on s’était muni au dernier village qu’on avait traversé. Le repas fut court et silencieux. Andrée et Bellah ne tardèrent pas à se retirer dans la chambre qui leur était destinée. La chanoinesse partagea la sienne avec Alix, et la suivante écossaise prit possession d’un petit oratoire pratiqué dans une tourelle. Des lits de camp avaient été dressés à l’avance par la prévoyance de Kado, à qui avait été confié le soin de régler l’itinéraire de l’expédition.

Quand Bellah et Andrée se trouvèrent seules dans leur grande chambre, qu’éclairait une lampe de nuit, elles s’agenouillèrent d’un mouvement commun et prièrent quelque temps à voix basse. Andrée se releva la première, et, s’approchant d’une fenêtre, elle parut considérer avec intérêt ce qui se passait dans l’enceinte du vieux château. Les soldats avaient allumé çà et là des feux dont les lueurs tremblaient par intervalles au travers des ogives ou des cintres mutilés ; chacun s’établissait de son mieux pour la nuit. Sur la pelouse qui s’étendait devant la façade du manoir, le commandant Hervé se promenait seul, occupé sans doute à tourner et retourner dans son cerveau les derniers mots de sa sœur, avec cet enfantillage inquiet qui caractérise les amans. Tout à coup il s’arrêta et leva les yeux vers la fenêtre d’où Andrée l’observait. La jeune fille se rejeta vivement en arrière et se mit à marcher avec agitation dans sa chambre, en chiffonnant un mouchoir entre ses doigts. Bellah venait de quitter sa pieuse attitude, et, remarquant l’animation extraordinaire qui colorait le visage d’Andrée : — Qu’as-tu donc, ma sœur ? dit-elle avec anxiété. Pour toute réponse, Andrée repoussa la main qui essayait de prendre la sienne et continua de marcher rapidement en torturant son petit mouchoir.

— Qu’est cela ? reprit Bellah. Sommes-nous fâchées et à quel sujet ?

— Écoute, dit Andrée en s’arrêtant brusquement devant elle, cela ne peut durer. Je ne dormirai pas cette nuit ni les nuits suivantes, je ne dormirai plus jamais.