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fantine. Il ramassa un fragment de moellon, et, s’étant assuré qu’on ne l’observait pas, il prit la pose de David devant Goliath, et lança a pierre résolument dans la fenêtre de la chanoinesse, après quoi il courut se pelotonner derrière un mur, en riant tout bas de ce fou rire qui est plus familier aux écoliers qu’aux empereurs. Au bruit de vitraux brisés qui annonça le succès complet du divertissement de Francis, quelques soldats, couchés çà et là dans les ruines, levèrent la tête avec inquiétude ; mais le silence profond qui succédait à cette effraction leur fit croire qu’ils avaient été dupes d’une des mille plaisanteries que les démons de la nuit inventent pour torturer les mortels, et ils se rendormirent aussitôt. Au même instant, Francis voyait une ombre s’approcher avec précaution de la fenêtre endommagée, et il croyait reconnaître la silhouette effilée de celle qu’il avait eu principalement pour but de désobliger. L’ombre de la chanoinesse parut appliquer quelque chose comme un nez à l’une des vitres intactes. Francis se pencha vivement et ramassa une seconde pierre : cet âge est sans pitié. L’ombre alors, soit qu’elle eût terminé ses investigations, soit qu’elle fût guidée par un de ces pressenti mens salutaires que le ciel, dans sa miséricorde infinie, envoie aux vieilles filles comme aux autres créatures, l’ombre se retira, et l’affaire n’eut pas d’autres suites.

Environ trois heures après la conclusion innocente de cet épisode, tous les soldats étaient debout, étirant au soleil leurs bras engourdis. Le garde-chasse Kado s’occupait de seller les chevaux avec sa gravité habituelle, tandis que Hervé et Francis, retirés un peu à l’écart, semblaient engagés dans une vive discussion. Le sergent Bruidoux ôta sa pipe de sa bouche, s’approcha avec modestie des deux officiers, et, portant la main à son chapeau : — Salut et fraternité, citoyens, dit-il. Vous voilà frais comme une pomme ce matin, commandant. Je vois avec charme que ce coup de poing numéro un n’a pas produit sur votre teint plus d’effet moral qu’une caresse physique de jeune fille… Et est-ce votre avis, citoyens, que nous quittions la baraque avant de savoir au juste comment est fait le ci-devant boudoir de ces dames lavandières ?

— C’est précisément, répliqua Hervé, ce que je disais au lieutenant. Bien que nous ayons tout lieu de croire que les drôles ont déguerpi, il est bon d’examiner leur gîte. Le plus léger indice peut nous révéler le but de leur réunion.

— Très-bien ! s’écria Francis. Qui vous dit le contraire ? Seulement allons-y tous. Il n’est pas juste que vous couriez seul la chance d’être pris au piège.

— Et où diable voyez-vous un piège ? reprit Hervé. Ne vous ai-je pas montré, au bas du donjon, la porte par laquelle ils sont sortis ? Ils l’ont