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BELLAH.

laissée toute grande ouverte. Si c’est un piège, il est bien fin. Allumezmoi une torche, Bruidoux. Je ne veux pas, encore un coup, lieutenant, qu’un seul de nos hommes hasarde un cheveu dans cette affaire. C’est assez, c’est beaucoup trop que j’aie à me reprocher déjà la mort de Robert.

— Permettez-moi, dit Bruidoux, qui revenait avec une torche allumée à la main, et deux autres sous le bras, permettez-moi, citoyens, de vous mettre d’accord. Allons-y tous trois ; s’il y a des dames, en bien ! elles n’en auront que plus sujet de se réjouir.

Hervé, malgré le désir qu’il éprouvait de visiter seul le souterrain suspect, consentit à cet arrangement, dans la crainte d’éveiller par de plus longs refus la défiance du loyal sergent. Tous trois alors, ayant tourné le donjon, commencèrent à descendre laborieusement le mamelon abrupt qui lui servait de base, en s’aidant des arbustes rabougris qui croissaient entre les fentes du rocher ; ils se trouvèrent bientôt à quelques pieds au-dessus du fond d’un ravin, devant la petite porte que le commandant Hervé avait découverte d’en haut, et qui était ménagée de façon à ne pouvoir être aperçue facilement du côté de la plaine. Cette porte, adaptée au rocher, fermait l’entrée d’une espèce de caverne étroite et obscure. Hervé, sa torche à la main, y pénétra en se courbant, suivi de près par ses deux compagnons. Au bout de quelques pas, ce couloir les conduisit dans une vaste salle voûtée, à laquelle des arceaux parfaitement intacts prêtaient un caractère de sombre élégance architecturale. Des torches fumaient encore sur le sol humide : c’était du reste la seule trace qui pût faire deviner le séjour récent d’êtres vivans dans cette retraite. La cave principale communiquait par des portes cintrées avec des chambres plus petites, dans lesquelles les deux jeunes gens et le sergent continuèrent leurs perquisitions ; Hervé s’engagea dans la partie des souterrains qui devait correspondre à l’aile du manoir occupée durant la nuit par la chanoinesse. Dans l’angle d’un caveau, la lumière rouge de sa torche éclaira tout à coup les degrés d’un escalier en vis qui s’enfonçait sous la voûte. Hervé s’élança précipitamment sur les degrés, mais, à la hauteur de la voûte, l’escalier était rompu ; cinq ou six marches avaient été arrachées et gisaient sur les degrés inférieurs, laissant un intervalle qu’il était impossible de franchir. Après un examen minutieux de ces débris, Hervé demeura convaincu qu’ils dataient de la nuit, et ses soupçons contre la politique chanoinesse furent fortifiés par cette découverte. Une visite attentive dans l’appartement de la vieille dame n’eût pas manqué d’éclairer à cet égard les conjectures du jeune commandant ; mais telle avait été son éducation, que la pensée de violer la chambre à coucher d’une femme, cette femme eût-elle cent ans, devait être écartée avec répugnance par les habitudes de son esprit.