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des précédens ; il l’isola dans sa sphère comme une pure idée, l’idée vivante du salut public et de l’intérêt national[1].

Des hauteurs de ce principe, il fit descendre dans l’exercice de l’autorité suprême une logique impassible et des rigueurs impitoyables. Il fut sans merci comme il était sans crainte, et mit sous ses pieds le respect des formes et des traditions judiciaires. Il fit prononcer des sentences de mort par des commissaires de son choix, frappa, jusque sur les marches du trône, les ennemis de la chose publique, ennemis en même temps de sa fortune, et confondit ses haines personnelles avec la vindicte de l’état. Nul ne peut dire s’il y eut ou non, du mensonge dans la sécurité de conscience qu’il fit voir à ses derniers momens[2] ; Dieu seul a connu le fond de sa pensée. Nous qui avons recueilli le fruit lointain de ses veilles et de son dévouement patriotique, nous ne pouvons que nous incliner devant cet homme de révolution par qui ont été préparées les voies de la société nouvelle. Mais quelque chose de triste demeure attaché à sa gloire ; il a tout sacrifié au succès de son entreprise ; il a étouffé en lui-même et refoulé dans de nobles ames les principes éternels de la morale et de l’humanité[3]. À la vue des grandes choses qu’il a faites, on l’admire avec gratitude, on voudrait, on ne saurait l’aimer.

Les novateurs les plus intrépides sentent qu’ils ont besoin de l’opinion ; avant d’exécuter ses plans politiques, Richelieu voulut les soumettre à l’épreuve d’un débat solennel, pour qu’ils lui revinssent confirmés par une sorte d’adhésion nationale. Il ne pouvait songer aux états généraux ; membre de ceux de 1614, il les avait vus à l’œuvre, et d’ailleurs son génie absolu répugnait à ces grandes réunions ; l’appui

  1. « Les intérêts publics doivent être l’unique fin du prince et de ses conseillers. » (Test., deuxième partie, p. 222.) - « Croire que, pour être fils ou frère du roi ou prince du sang, on puisse impunément troubler le royaume, c’est se tromper. Il est plus raisonnable d’assurer le royaume et la royauté que d’avoir égard à leurs qualités… Les fils, frères et autres parens des rois sont sujets aux lois comme les autres, et principalement quand il est question du crime de lèse-majesté. » (Mémoires du cardinal de Richelieu, collection Michaud, deuxième série, t. VIII, p. 407.)
  2. « Le curé lui demandant s’il ne pardonnoit point à ses ennemis, il répondit qu’il n’en avoit point que ceux de l’état. » (Mémoires de Montglat, collection Michaud, troisième série, t. V, p. 133.) - Voyez aussi Mémoires de Montchal, Rotterdam, 1718, p. 268.
  3. « Le cardinal de Richelieu a fait des crimes de ce qui faisoit dans le siècle passé les vertus des Miron, des Harlay, des Marillac, des Pibrac et des Faye. Ces martyrs de l’estat, qui, par leurs bonnes et saintes maximes, ont plus dissipé de factions que l’or d’Espagne et d’Angleterre n’en a faict naistre, ont esté les défenseurs de la doctrine pour la conservation de laquelle le cardinal de Richelieu confina M. le président Barillon à Amboise ; et c’est lui qui a commencé à punir les magistrats pour avoir advancé des vérités pour lesquelles leur serment les oblige d’exposer leur propre vie. » (Mémoires du cardinal de Raiz, collection Michaud et Poujoulat, p. 50.)