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frayeur du ridicule qui ne lui souffre pas impunément toutes ses aises : c’est pourtant une justice de dire que plus nous allons maintenant, plus nous lui rendons de liberté ; mais, en Allemagne, il a toujours eu droit de marcher le front levé sans être salué pour ce qu’il était. Les Allemands n’ont presque pas le sentiment du ridicule, qui n’est point en effet compatible avec la solidité naturelle de leur intelligence. Malheureusement, avec cette excessive solidité, ils s attachent parfois plus que de raison à nos velléités les plus hétéroclites ; ils prennent bravement à leur compte les lubies et les niaiseries que nous poussons dans le monde de notre pied léger. Soit dit sans les offenser, ce sont les plus pédans de tous les révolutionnaires ; or, leur pédantisme ne se contente pas de chimères, il veut absolument trouver la logique des plus bizarres aventures de nos cerveaux et prêter du corps à nos ombres de systèmes. Si l’ombre seule avait déjà mauvaise grace et semblait moquable, figurez-vous donc la mine que doit avoir le corps.

Les Allemands se piquent pourtant d’être en tout point des autochthones ; à les entendre, ils sont sortis de terre armés de pied en cap ; ils ne doivent rien à personne, l’univers leur doit ; leur génie s’est produit de prime-saut, et les idées leur sont venues comme les feuilles viennent sur les chênes (le chêne est l’arbre allemand par excellence ; depuis que l’Allemagne s’est mise si fort en frais de péroraisons patriotiques, il n’y en a pas une qui finisse sans la comparer au chêne de ses forêts). J’admets de grand cœur que les Allemands n’aient tiré que d’eux-mêmes tout ce qu’ils ont de bon, et je respecte la susceptibilité légitime avec laquelle ils revendiquent leur patrimoine national. Je m’étonne d’autant plus qu’ils s’acharnent si étrangement à contrefaire presque tout ce que nous avons de mauvais. Leurs socialistes se sont notoirement instruits à l’école des nôtres : c’est chez nous qu’ouvriers et docteurs ont voyagé des années durant à la recherche de la sagesse. Il est vrai qu’ils prétendent avoir simplement repris leur bien là où ils le trouvaient ; car ils font remonter la science jusqu’aux anabaptistes de Munster, pour ravir à leurs maîtres français le mérite de la découverte. Leur socialisme a toujours de la sorte plus de quartiers que le nôtre, tout en s’en étant inspiré. Notez encore ce trait qui marque les révolutionnaires de souche teutonne : il leur faut des quartiers comme aux plus superbes aristocrates ; ils aiment passionnément la poudre des origines antiques. Leur république rouge est là-dessus aussi allemande que Luther ; elle se fabrique à tout prix des ancêtres pour ses propositions, et, n’ayant pas le choix, elle va quérir n’importe lesquels, pourvu qu’ils soient assez du pays.

Elle ne pourra jamais cependant effacer tout-à-fait ses origines welches, et, par exemple, il lui serait trop difficile de renier le parrainage