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traduction. L’on me permettra donc de lui faire ici les honneurs de cette métamorphose.

La république inaugurée par les proclamations tombées de la plume illustre qui avait déclaré la guerre aux maris avant de la déclarer aux rois ; j’ai vu placarder sous les yeux du bourgeois hébété ces bulletins pathétiques qui révélaient, hélas ! le sexe de la rédaction par l’ardeur jalouse avec laquelle ils défendaient les Hercules du provisoire d’avoir filé trop exclusivement aux pieds des grandes actrices ; j’ai vu les débris féminins, du troupeau de Saint Simon recommencer les parades de la rue Monsigny, sauf l’âge et les appas de moins ; j’ai vu les sœurs des frères et amis leur disputer la tribune et s’en emparer au contentement de leurs propres époux, fiers de ces éloquentes moitiés ; j’ai vu la fête de Noël célébrée dans la salle Valentino par des prêtresses qu’on aurait pu prendre pour les nymphes ordinaires de l’endroit, si elles ne s’étaient pieusement étudiées à chanter en fausset les couplets mélancoliques de la religion du circulus ; j’ai vu pire que tout cela : des femmes socialistes possédées du démon des vers, accourir du fond de la province, et leur tête chauve mal garnie d’affreux bouquets en papier, leurs bras rouges et nus terminés par de sales gants blancs, monter sur un trépied de cabaret, pour annoncer en froides rimes la prochaine émancipation de leur espèce. Si tout cela n’est pas le ridicule, il n’y en a plus nulle part sous la voûte des cieux.

Et cependant ce ridicule dont nous pensons peut-être avoir épuisé la gloire à nous seuls, il n’est pas complet chez nous ; il n’atteint la perfection que chez les plagiaires qui nous l’empruntent. D’abord nous ne le copions pas, nous l’inventons, ce qui lui souffle au moins une sorte d’originalité et ne le laisse point paraître aussi plat qu’il est, une fois la fleur passée. Puis il s’en faut que ce soit toujours un ridicule convaincu ; la foi lui manque souvent pour s’adorer suffisamment lui-même, et il spécule assez volontiers en connaissance de cause sur la sottise d’autrui ; avec plus de sincérité, il ne serait pas beaucoup moins malhonnête, et il serait plus ennuyeux. Enfin, nous gardons bon gré mal gré dans notre sang un peu de vieille sève gauloise qui part en saillies indiscrètes au milieu des plus touchans accès de l’enthousiasme artificiel et de la fausse exaltation. Les cordes graves n’endurent pas dans nos ame une tension trop prolongée ; le lyrisme nous fatigue d’autant plus que nous nous y appliquons davantage, et nous échappons quand même au joug de l’ode par une pointe, de madrigal ou de comédie.

Nos folies ne sont achevées et leur mesure n’est entière que lorsqu’elles ont été s’affubler outre Rhin du travestissement sérieux qui convient à l’humeur de nos doctes voisins. Quoiqu’on ait de jour en jour moins d’esprit en France, on y conserve encore une certaine