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noble culte de l’amour ; mais ; pour cet autre culte il faut avant tout que les femmes puisent, dans une instruction plus profonde, une plus haute conscience d’elles-mêmes. C’est l’instruction qui prête à la vie et à l’amour cette liberté intérieure sans laquelle toute liberté extérieure n’est qu’une chimère. Il ne s’agit pas ici de l’instruction des jeunes communiantes ou de celle des pensionnats ; il s’agit de cette vie sublime de la pensée pour laquelle la femme est aussi bien faite que l’homme. L’idée sans doute, chez elle, tourne vite au sentiment, elle se personnifie, elle s’incarne pour lui aller au cœur. Qu’est-ce que cela prouve, sinon que le sentiment réclame une liberté aussi entière que l’idée, et ne doit point être défloré par une indigne contrainte ? -De même que les fils de ce siècle qui ont l’instinct du temps où ils vivent réclament la liberté de l’idée pour que le souverain bien de l’homme ne soit plus livré au caprice et au bon plaisir, de même les vraies filles de notre âge veulent la liberté du sentiment. »

Le roman de Mme Aston n’est, d’un bout à l’autre, que cette morale en action. L’action n’est pas si échauffée dans l’églogue de Mme Kapp ; mais cela tient sans doute à la diversité des tempéramens, car il y a concordance pour les principes. Et remarquez comme ces principes mènent d’application en application, et par quelle pente la femme auteur vient tomber dans une certaine politique, toujours la même, où la poussent les inexorables conséquences de son début. Cette fureur d’affranchissement individuel, ce besoin de secouer toutes les attaches de la vie privée que Mme Aston exprime avec tant d’énergie vont bientôt la conduire à prendre en main la cause de tous les rêveurs d’indépendance anarchique. Les « fils du siècle » auxquels elle reconnaîtra le privilège d’avoir la conscience de leur temps, ce seront les héros des barricades. C’est un curieux et triste enseignement de voir l’esprit de révolte descendre ainsi dans la rue après avoir germé à l’ombre du foyer domestique. L’abîme appelle l’abîme. Si ce n’est en raison de circonstances aussi exceptionnelles qu’honorables, une femme n’écrit guère pour le public que sous l’influence de deux sentimens, ou parce qu’elle est en insurrection contre tout ce qui l’entoure, ou parce qu’elle est en adoration vis-à-vis d’elle-même. Ces deux états de l’ame se touchent d’ailleurs d’assez près, et l’un et l’autre sont merveilleusement propres à l’incliner vers les passions envieuses qui font l’arsenal ordinaire de toute démagogie. Pour parler sans détour, en prenant les gros mots du langage courant, je ne me permettrais peut-être pas de dire que, lorsque le sexe fragile a chaussé le bas bleu, il est de nécessité absolue réduit à se coiffer du bonnet rouge ; mais je ne crois pas du moins qu’on puisse devenir une héroïne de la république sociale sans avoir, au préalable, concouru parmi les muses de la république des lettres. Le chemin se fait si vite ! On a perdu les joies de l’intérieur, on ne songe plus à ses enfans que comme un musicien à son motif ou un peintre à son modèle ; on ne les porte plus dans son cœur, on les pose