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devant son imagination. L’imagination n’est pas, comme le cœur, facile à contenter dans le silence ; il lui faut un accompagnement, un orchestre. On va chercher l’orchestre, on en sollicite, on en provoque les fanfares ; on quitte la maison pour la place publique. La place publique étourdit et enivre : on se laisse d’autant mieux séduire par les bruyantes récompenses qu’elle décerne, que l’on est moins sensible aux chastes et douces récompenses dont on pouvait jouir au fond de la maison. Or, le bruit de la foule n’est nulle part si enthousiaste qu’autour des grandes idées fausses et des grands mots vides. C’est là qu’il faut courir, parce que l’insatiable passion d’applaudissemens ne donne plus ni repos ni trêve, et aussi, soyons-en sûrs, parce que le souvenir des biens charmans qu’on n’a plus revient avec une amertume dont on se venge en exaltant des biens mensongers. On prêche la fraternité du genre humain faute d’avoir su goûter la paix de la famille, et l’on met son orgueil à conspirer contre les tyrans sur le noir pavé des carrefours pour se dédommager de n’avoir pas compris la dignité d’une vie close sous un toit respecté.

Que ce ne soit pas là l’histoire de toutes, tant mieux ; c’est pourtant l’histoire de beaucoup. Toutes ne parcourent peut-être pas la même carrière ; il en est qui coulent jusqu’aux bas-fonds de la route, il en est qui s’arrêtent le long de cette route lamentable : le courage leur manque pour aller plus loin, et de place en place elles marquent ainsi les étapes du funeste voyage. Mme Aston, par exemple, est certainement en avance sur Mme Kapp, et je ne les rapproche l’une de l’autre que pour mieux suivre le progrès qui conduit sur cette voie de degré en degré. Et puis le roman de Mme Kapp enveloppe, pour ainsi dire, de longs voiles de lin, d’une longue robe de matrone ; les mêmes doctrines que Mme Aston habille à la légère et lance vêtues de court à travers les équipées d’une fantaisie très peu virginale. Le contraste de ces mérites si divers ne les fera que mieux ressortir ; la couleur élégiaque et monotone de Manhold donnera plus d’effet aux peintures tapageuses de Mme Aston. Je confesse tout bas ce vulgaire expédient de ma critique, et je supplie la gravité de Mme Kapp de ne s’en point trop indigner.


II

Manhold est un sujet très complexe ; je ne serais pas éloigné de penser que l’auteur a changé deux ou trois fois d’idée dans le cours de son œuvre, mais ce sont toutes idées également empreintes de la même foi humanitaire. Je néglige donc les nœuds et les reprises pour suivre de mon mieux le plus gros fil de la trame ; quoique confuse, la trame est courte.