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pas battu une fois. On suivait la piste ; comble les chiens, l’on quêtait la proie. Trente spahis précédaient la colonne avec des cavaliers du bureau arabe ; ils lisaient la terre pendant la nuit. Quelles émotions ! On arrivait sur des bivouacs dont les feux brûlaient encore ; l’ennemi était parti le matin seulement, et l’on se hâtait de reprendre la marche. Enfin, après deux nuits et deux jours, nos rôdeurs arabes, qui couraient sur les flancs de la colonne, s’emparèrent de deux hommes des Djaffras. Ceux-ci refusèrent d’abord de parler ; mais un canon de fusil, appliqué contre leur tête ; délia subitement leur langue et ils apprirent que la veille les réguliers étaient à Taouira. L’on était donc sur la bonne route ; on finirait bien par les atteindre.

La colonne se mit de nouveau en mouvement, précédée comme toujours par les spahis. Par momens, il s’élevait des rafales de vent, et la pluie tombait ; puis, l’instant d’après, la lune éclairait l’étroit sentier qui serpentait le long des collines à travers les rochers, les thuyas et des genévriers. Pas une pipe n’était allumée, le silence le plus profond régnait, troublé seulement par le bruit d’une chute, lorsqu’un fantassin, dont les yeux saisis par le sommeil s’étaient fermés malgré la marche, trébuchait contre un obstacle du chemin. Il arrivait ainsi aux plus vigoureux de céder à la fatigue ; les éclaireurs seuls avaient toujours le regard au guet. Le jour parut enfin, l’on vit une fumée légère ; hélas ! ce n’était encore qu’une déception : les feux achevaient de se consumer, les réguliers étaient partis. L’espoir qui avait soutenu jusque-là les forces des soldats les abandonna tout à coup, on n’entendit que cris et malédictions ; chacun maugréait après le général. La grande halte se fait pourtant dans un bas-fond, et, pendant que les soldats mangent, les batteurs d’estrade annoncent au général que les traces des bataillons sont toutes fraîches et de la nuit même. Le général Tempoure hésita une seconde ; son parti fut bientôt pris cependant, et l’ordre du départ fut donné. Alors s’éleva dans le bivouac une grande clameur. — Il veut nous tuer tous ! Criaient les soldats, qui, depuis soixante-dix heures, n’avaient pris que quelques momens de repos. On obéit pourtant, et l’on se met en marche. Au bout d’une heure, les traces tournent au sud ; de ce côté, plus d’eau assurée ! N’importe, il faut avancer ; mais les traces sont de plus en plus fraîches, voilà un cheval abandonné ; à quelque distance ? un bourriquet. Nous les tenons, ces brigands-là ! disent les soldats, et ils retrouvent des forces. Enfin, vers onze heures, pendant que la colonne est encore engagée dans une ravine profonde, les éclaireurs aperçoivent derrière une colline une fumée épaisse. Cette fois, l’ennemi est bien là ; toute fatigue disparaît aussitôt comme par enchantement ; en une seconde, sur l’ordre du général, les manteaux sont roulés, les amorces remplacées, les chevaux ressanglés ; on est prêt. Les troupes se forment pour l’attaque.